lundi 22 octobre 2012

Grandes puissances 18 - 10 (cours 6)



Lui et sa guerre sous-marine à outrance ...


Aaron avait insisté sur la dimension ethnique. Charles de Gaulle dans les années 1920 avait écrit La discorde chez l’ennemi où il étudiait les raisons selon lesquelles les Allemands avaient échoué au cours de la guerre de 1914 en dépit de leur supériorité militaire. Il souligne le problème de la guerre sous-marine à outrance. Mais De Gaulle parle moins de l’aspect technique, que de l’aspect moral. Selon lui, la guerre sous-marine à outrance a traduit des défauts spirituels chez les Allemands, une démesure venue d’une philosophie nietzchéenne des Allemands. En cela, il diffère nettement d’Aaron dans son interprétation. Mais les deux points de vue sont largement complémentaires si ce n’est qu’il ne faut pas porter l’accent sur le même phénomène. Tout deux qualifient une démesure allemande. Il y a tout de même une complémentarité entre la passion et la technique qui poussèrent les Allemands à la démesure.
Les questions d’Aaron vont au-delà de la guerre de 1914 et de la guerre en général. On peut reprendre ces analyses en se demandant si la technique entraîne nécessairement les activités humaines ? Les hommes font-ils nécessairement ce que la technique leur permet de faire ? Les hommes finissent-ils par vouloir faire ce qu’ils peuvent faire ? Cela touche aux manipulations génétiques comme aux armements. L’expérience ne permet pas exactement de trancher de manière absolue. L’arme atomique fut utilisée à son apparition mais ensuite ne fut plus utilisée par la suite après les entérinements des traités nucléaires. Il y a donc une arme à la puissance démesurée dont l’utilisation reste tout de même un tabou. La simple idée d’un usage d’armes nucléaires miniaturisées des Américains en Afghanistan à provoquer une levée de bouclier de nombreux acteurs du système international dénonçant une violation de tout les traités signés par les USA.

Cette démesure technique a imprégné les idéologies. Elle a entrainé une substitution dans le rapport à la guerre. Les idéologies ont remplacé au cours des 30 ans, les buts de guerre. Ces idéologies ont été porteuses de haines abstraites qui se concrétisent évidemment dans l’action. Cette substitution nous a fait passer de la Première Guerre Mondiale à la Seconde Guerre Mondiale. Les vainqueurs au sortir de la Première Guerre Mondiale veulent se venger des vaincus. L’économiste américain Keynes, l’historien français Bainville ou encore le penseur espagnol Ortega y Gasset ont tous une même opinion. Keynes dans Les conséquences économiques de la paix, souligne que les punitions imposées par les vainqueurs aux Allemands vont être trop lourdes et que cela risque de jeter les semences d’un conflit. Bainville écrit Les conséquences politiques de la paix, dans lequel il lui semble évident que dans les prochaines années une guerre va renaître à cause de la volonté française d’écraser les Allemands de manière définitive, c’est une première approche de la notion reprise et développée ensuite par Mossé de brutalisation de la politique en Allemagne. La République de Weimar naît dans un rapport politique extrêmement tendu. Les adversaires politiques sont perçus dans cette Allemagne comme des ennemis à exterminer. A cette époque un ennemi qui va être particulièrement haï par les politiciens allemands, ce seront les Juifs. C’est une semi-fatalité sous le plume de ces auteurs qu’on retrouve sous la plume d’Ortega y Gasset vers 1930. Il décrit alors l’opposition qui se crée entre deux types de philosophie la philosophie et la barbarie. L’une est une force politique morale qui privilégie l’action indirecte, l’autre est aussi une force politique morale qui privilégie l’action directe. Il voit poindre l’action directe comme une menace, l’action indirecte elle se caractérise par sa prise de précautions, des intermédiations qui ralentissent et permettent de réfléchir à l’action qui sera menée. L’action directe est en revanche violente, elle ne donne plus de raison. Quand il n’y a plus de raisons, il n’y a plus de distances pour freiner l’action. Tout cela peut mener aux idées hitlériennes qui sont illimitées tant par l’esprit nazi et hitlérien que par … Cette agression était une possibilité qu’on pouvait percevoir dès la Première Guerre Mondiale comme l’ont montré les trois auteurs. Un certain nombre d’action vont être perpétrées qui étaient promues et appuyées très tôt. L’avance de l’armée allemande en 1918 qui pénètre sans difficultés dans le territoire russe, va inspirer Hitler qui pensera que l’URSS pouvait être vaincue facilement.
La guerre s’hyperbolise au travers de ces idées abstraites et cela va paradoxalement maintenir l’État souverain. On a une destruction de pays et d’États ou pourtant la souveraineté va se maintenir y compris dans la conception d’Europe, alors même qu’il s’agit d’un des responsable des deux guerres mondiales. Traditionnellement, la destruction mène plutôt à des Empires, ici ce serait une nouvelle forme d’Empires avec l’hégémonie de Washington et celle de Moscou au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. En Europe, la souveraineté restera présente ce qui témoigne d’une contradiction avec les conceptions étatsunienne et russe : on maintien une souveraineté nationale en promouvant une conception universelle comme le prouve par exemple les droits de l’homme. Ainsi lors de la crise économique de 2008, les États européens se sont individuellement mobilisés contre la crise avant d’agir au sein de l’Union Européenne. Les deux Empires pour leur part agissent différemment. Moscou inclus tous les pays qu’elle touche par leur communisme, dans son Empire. Seule la Yougoslavie va échapper à la mainmise impériale de Moscou. Tito connaissait bien Staline et donc savait les techniques de Moscou pour enserrer les partis. D’abord une apparence de souveraineté est laissée aux pays avec un relatif pluralisme partisan que les Partis Communistes étouffent avec le temps. Tito empêche cela, même si son adversaire de toujours, le général Mikhailovic fut assassiné par Tito. Washington pour sa part va agir sous Truman en mars 1947 avec la fameuse et influente doctrine de l’endiguement, il s’agit de contenir l’expansion communiste quitte à souvent favoriser le statu quo. Cette doctrine est en concurrence avec la doctrine du refoulement (Nixon était partisan de cette technique) une offensive contre les troupes soviétiques.



 Le 11 septembre et le déclin américain selon Plantu
 


La guerre dans la politique étrangère des États-Unis


Romain Gary dans Chien blanc décrivait comment une espionne s’était retrouvée dans son lit et comment des Bulgares lui avaient montré des photos de ses exploits nocturnes avec cette espionne pour tenter de le faire chanter, sans succès. Il écrit aussi sur les USA « Tout ceux qui creusent le tombeau de l’Amérique préparent leurs propres funérailles ».


I.                   Le mythe du déclin

Un thème récurrent depuis l’hégémonie étatsunienne, thème surdéveloppé depuis les années 1970 et la guerre du Vietnam, c’est celle de la décadence des USA.
Immédiatement vient à l’esprit, l’évènement le plus marquant des USA, le 11 septembre 2001 qui a manifesté ce que certains auteurs, tel Gérard Chaliand, ont appelés le « stade ultime du terrorisme ». On parle aussi du terrorisme hyperbolique, d’une « violence qui finit par être son propre but » selon Ferrero. D’autres auteurs, comme Donald Puchala, font des parallèles entre le terrorisme et la piraterie. Cela tenait entre autres au caractère transnational du 11 septembre, du ciblage des populations désarmées et de l’impossibilité de totalement supprimer le phénomène, notamment parce qu’il est impossible de clairement définir le terrorisme. Actuellement, le terrorisme dans sa définition très relativiste qualifie en réalité, l’autre. Ce stade ultime du terrorisme a révélé la faiblesse des USA en atteignant des endroits comme le World Trade Center et le Pentagone. D’un autre coté cela révèle l’incapacité d’attaquer directement l’armée américaine.

La prédominance des USA est critiquée par ce leitmotiv d’un déclin étatsunien. Paul Kennedy avait tenté de prévoir cette décadence en reconsidérant le pays d’après des données purement économiques. Le pays est trop étendu, trop endetté et condamné à disparaitre. La chute du mur de Berlin en 1989 n’a rien changé à ce thème du déclin, puisque Emmanuel Wallerstein adjoint au déclin économique des causes idéologiques. Les Américains ne peuvent plus poursuivre leur expansion mondiale.

Cette légende du déclin américain pose des problèmes et s’oppose à une situation de fait où sa prépondérance hégémonique demeure malgré tout. Ce thème du déclin est lié au fait que la civilisation que recouvre les USA perd de sa substance et de son énergie. Une synthèse efficace de cela est visible dans les ouvrages de Samuel Huntington Le choc des civilisations et Qui sommes-nous ?. Le choc des civilisations fut brutalement contesté en France avec des comparaisons avec le Front National. Huntington considère que les guerres auxquelles nous assistons sont à la jointure entre diverses civilisations. Les civilisations sont essentiellement résumées selon lui aux religions, mais ce n’est pas le seul critère. Il distingue alors dans le monde 6 à 8 civilisations dont les jointures sont les lieux de conflits armés. La plupart des commentateurs avaient omis un détail, les vrais acteurs des guerres dites de civilisation n’étaient pas tant ces civilisations que les États selon Huntington. Les civilisations ne sont que des cadres. Il distingue la civilisation arabo-musulmane, occidentale, nippone, chinoise, latino-américaine, … D’ailleurs en différenciant la culture latino-américaine de celle des USA, il écrira son second ouvrage en se demandant comment évolue l’identité américaine avec la forte immigration des ces latino-américains aux USA.
L’analyse d’Huntington se termine sur une philosophie de politique étrangère qui est isolationniste. Il faut retirer les interventions américaines le plus possible des points chauds pour éviter le déclin des USA.
Sur le plan factuel, il y a un problème chez Huntington, il donne toute la primauté au politique. En cela, il nous sauve du schéma panéconomique puisque les analyses politiques sont structurelles et influencent l’ensemble des autres domaines. Le déclin économique tient aussi à l’ampleur de l’immigration latino-américaine. Ainsi, par l’immigration latino-américaine chez les Whasps, deux civilisations différentes se rencontrent et cela est un des vecteurs du déclin américain, par les tensions qui naissent des différences entre les deux civilisations. Pour Huntington, toutes les rencontres de population posent des soucis et des questions, mais dans le cas américain cela le questionne sur l’intégration latino-américaine. Son analyse pose problème lorsqu’il prend pour unique référence l’immigration mexicaine et qu’il la généralise. Or effectivement de toutes les populations latino-américaines qui immigrent aux USA, les Mexicains sont ceux qui s’intègrent le moins bien. Pour Huntington, cela vient des différences d’ascension sociale. Mais ce cas précis n’explique pas les immigrations de latino-américains originaires d’autres contrées. Ainsi, lorsqu’il parle de décadence, Huntington ne prend pas en compte les différences entre les pays dont sont originaires les immigrés latino-américains. De plus, il ignore le fait qu’avec la barrière de la langue brisée, l’intégration (et non l’assimilation) est très simple puisqu’elle passe par la connaissance de la constitution américaine. L’identité politique américaine est une identité constitutionnellement définie, on prête serment sur la constitution.

Pour Montesquieu, la notion de décadence est forcément rétrospective puisqu’on ne peut pas la juger lorsqu’elle a lieu. En revanche, après coup, on peut parler ou non d’une décadence. Pour les USA, il y a certes quelques aspects évoquant un relatif déclin même si cela reste insuffisant pour parler de déclin général.

Mickael Mann, un sociologue britannique, dans L’empire incohérent, les USA et le nouvel ordre international sorti en 2003, a considéré que la politique extérieure américaine s’est dangereusement appauvrie parce qu’elle est devenue un impérialisme essentiellement militaire. Il y a une inadéquation entre la puissance de feu des USA et les défis que les groupes armés lancent aux USA. Il estime qu’un certain nombre d’éléments nourrissent cette inadéquation. Ainsi s’il y a un impérialisme américain, Mann considère qu’un Empire ferait une large intervention sur le terrain et ce de manière durable. Cette marque classique d’action impériale est en contradiction totale avec l’idéal américain de 0 mort (dans l’armée américaine), émis dans les années 1990 sous Bill Clinton. Cela se verra au Kosovo lors de l’intervention terrestre qui était extrêmement dangereuse, les Américains ont refusé d’intervenir, c’est la légion étrangère qui a été envoyée en trois colonnes, dont deux furent décimées. Cette théorie de 0 mort est en inadéquation avec l’impérialisme américain. Autre contradiction, l’économie américaine est forte dans sa notion financière mais très dépendante des autres États (en particulier de la Chine).
Mann donne d’autres éléments de cette situation globale des USA, avec la « schizophrénie politique » qu’on voit au travers de l’oscillation permanente entre le multilatéralisme et l’unilatéralisme. Cette schizophrénie politique qui stimule le développement militaire et offensif n’est pas compensée par le soft power. Le hard power n’a plus la compensation du soft power.
Mann fait une fixation sur le militarisme des USA qu’il oppose par définition au libéralisme instauré dans la culture américaine. Comment expliquer cette focalisation de Mann sur le militarisme ? Par la conjoncture en mars 2003 des USA en Irak. Cette situation militariste fut unique sous George W. Bush. Auparavant les guerres étaient peu nombreuses, jamais très longue et la surveillance des pays ennemis faible. Depuis la fin de la guerre du Vietnam, le budget du Pentagone est bien plus important que celui du secrétariat d’État.

En s’inspirant de Max Weber, la domination des USA peut être vue comme la combinaison d’une domination rationnelle-légale (cette domination se lit dans les institutions internationales et dans l’internationalisation du droit américain), d’une domination culturelle et idéologique et d’une domination militaire.

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