mercredi 10 octobre 2012

Grandes puissances 28 - 09 (cours 2)


Hannah Arendt


Une puissance c’est aussi un ensemble d’entités politiques en acte qui a non seulement des moyens, mais se pose aussi des fins. La conception de la vie collective se traduit â un système politique particulier.  La fin d’une puissance, exprimée sur la scène internationale, ce sont l’ensemble des objectifs que la puissance internationale se donne. Plusieurs objectifs extérieurs reflètent un ensemble d’idées historiques de la vie politique. Le système politique en est un, il cristallise, synthétise la conception de ce qu’on se fait de la vie en commun. Dans une certaine mesure, la politique extérieure va exprimer cette idée sans pour autant que cette politique extérieure soit complètement déterminée par le régime politique. Il n’y a pas une conduite unique que l’on pourrait attribuer à la démocratie, à un régime totalitaire, … Cela définit tout de même des éléments caractéristiques de la politique extérieure. Ainsi les démocraties l’action extérieure est toujours justifiée au nom de la garantie et de la sauvegarde de droit, bref de l’endiguement de massacres en cour ou supposés. Ce fut le cas au Kosovo, au Rwanda ou, plus proche de nous, au Mali. L’humanitaire, le respect du droit, la démocratisation, … Autant d’arguments soulevés par les démocraties lors de leurs interventions extérieures.
Les régimes totalitaires en revanche sont plus différents. Le système soviétique communiste et le système national-socialiste présentent deux types d’idéologies qui sont différentes même si leurs fonctionnements sont comparables (cf Juan Linz pour une synthèse, Hannah Arendt et Raymond Aron pour des analyses poussées). On y voit selon Hannah Arendt, une idéologie qui est la mise en branle de la logique d’une idée. Ce n’est pas une approche réaliste ou pragmatique, mais une exclusion de l’erreur possible. Le réel est mis de coté pour s’adapter à l’idée de l’idéologie. Tout ce qui dans le réel empêche l’idée de se réaliser doit être autant que possible supprimé. Dès la prise de pouvoir de Lénine en 1918, les Tchétchennes s’opposant au projet soviétique, il fallait les faire taire, les soumettre. Pour Hitler, il fallait conserver la race aryenne et étendre sa sphère d’influence en supprimant les populations jugées non pures. Les types de politique extérieures des régimes totalitaires sont donc différentes, le style hitlérien étant jusqu’au boutiste et le style stalinien étant plus prudent (allié allemand, puis américain, puis ennemi américain).

On peut tout de même trouver des éléments qui définissent de manière générale les objectifs permanents les politiques extérieures. Dans les régimes totalitaires, on retrouve très régulièrement l’objectif de conquête : accroître son espace ou tout du moins, le conserver. C’est le cas de l’équilibre européen lors des courses aux colonies du XVIII° siècle et du XIX° siècle. L’espace devient donc le théâtre du jeu international ou bien l’enjeu de l’action internationale.

Parenthèse sur la géopolitique :
La géopolitique peut s’approcher de manière classique, de manière flexible ou bien avec une définition vague de l’espace. L’espace est dans un premier temps soumis à un déterminisme géographique en géopolitique. Les peuples sont en conflit pour des causes géographiques. La mobilité maritime extraordinaire de l’Angleterre lui a donné la domination complète des mers au XIX° siècle. C’est la première approche de la géopolitique classique avec Mackinder. Il juge deux espaces essentiels : l’île mondiale (Europe, Asie, Afrique), endroit à maîtriser, et la terre centrale, région pivot, cœur de l’île mondiale (masse asiatique et Est européen). Sa conception se résumait dans l’expression, qui règne sur l’Europe orientale, règne sur la terre centrale, qui règne sur la terre centrale, règne sur l’île mondiale et qui règne sur l’île mondiale, règne sur le monde. Il était très craintif de l’avenir de son pays le Royaume-Uni puisque cela le poussait à penser que le règne de l’Empire Britannique s’était appuyé sur une puissance maritime prédominante qui était en pleine remise en cause entre les deux guerres mondiales. En effet, certaines civilisations (Germains contre les Slaves) tentaient d’unir l’île mondiale sous leur coupe. Il va s’effrayer encore plus sous la montée en puissance de l’Allemagne nazie. Si un seul domine l’île centrale, le continent qui ne sera plus fragmenté va s’opposer à la puissance de l’empire Britannique. Prépondérance maritime et fragmentation de la puissance continentale assuraient l’hégémonie britannique.
Il sera repris par les géopoliticiens allemands nationalistes qui vont déformer ses analyses. Ainsi, Mackunder a la conscience de l’industrialisation qui permet sur un espace donné de faire vivre plus de monde. Etrangement, il va en rester à l’idée que la démographie est très importante et donc que l’espace devient plus restreint. Cependant, il fait comme si la croissance démographique récente rend plus étouffante la présence accrue de population sur le terrain. Pour les Allemands, être moins étouffé se fera par l’extension et la conquête de terres sur les voisins.
Mais cette analyse de Mackunder est faussée par son déterminisme qui juge l’Amérique comme une simple périphérie du monde. Les Allemands déforment de leur coté la théorie du britannique, les Américains vont en faire de même, avec Spykman, pour adapter ces théories et justifier la prédominance des USA sur la nouvelle scène mondiale des années 1940.
Dans tout les cas, le déterminisme géographique plombe ces analyses. Quand on veut figer un schéma, celui-ci est souvent valide pour une période donnée. Ainsi la puissance maritime des USA va finir par écraser la puissance continentale de l’Allemagne nazie et arrêter l’expansion soviétique à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le schéma de Mackunder commença donc à dater, à devenir obsolète.

La géopolitique classique est un schématisme géographique. La géopolitique flexible est une approche réaliste des politiques internationales, quels sont les rapports de force dans quelles régions du monde ? On reste souvent sur de simples descriptions des rapports de forces mondiaux. On peut donc décrire la situation actuelle avec une puissance dominante des USA sur le continent, puis selon les régions, on trouve des puissances qui influencent localement et concurrence localement les USA (Brésil en Amérique du Sud, Inde concurrencée par la Chine en Asie, …). La vision est plus flexible et plus vague selon une analyse réaliste classique. Une utilisation encore plus vague est possible.

Reprise du cours :
L’espace est surtout important par ce que l’on en fait, par ce qu’il comporte. Les hommes sont donc encore plus déterminants puisqu’ils façonnent l’espace. Les hommes sont aussi un élément fort de la politique extérieure. De nouveau, pour les protéger et les encadrer ou pour les dominer. Pour les conquérir, on peut l’exprimer en disant que l’on va chercher la gloire, qui passe par les populations.
On a aussi une prédominance de conquête des hommes, par les esprits et les âmes, il faut conquérir les esprits, s’attacher les âmes, … Cela se traduit parce qu’on fait les puissances démocratiques et l’ONU dans les Balkans, les faire adhérer à la démocratie. Pousser les Serbes et les Musulmans du Kosovo à coexister ensemble ? C’est assurer que la démocratie, la tolérance de l’autre est le meilleur des régimes. L’offensive des groupes islamistes est aussi une volonté de conquérir les âmes mais au nom d’une autre doctrine. Le geste est le même, la conquête des opinions par la prédominance d’un certain type d’idées.

Avec ces trois tendances (espace, hommes, esprits), on peut tenter de prévoir une politique extérieure mais de nombreux facteurs influencent cela que ce soit contextuellement ou structurellement. Cela explique que l’analyse des relations internationales n’est pas une science dure. En géopolitique, on est rarement sur, on est toujours dans un flou. Rien n’est tout blanc ou tout noir, on joue sur des teintes de gris. Carl Schmitt déclarait d’ailleurs « Est souverain, celui qui décide en situation extrême. ». Celui qui prend la décision ultime à donc la souveraineté, en France, c’est le Gouvernement en accord avec les chambres législatives. Dans l’ordre international en revanche, cela est beaucoup moins net, nous n’avons pas clairement d’autorité en dernier ressort. L’indétermination est complète en politique extérieure puisque rien n’est fixe, il n’y a pas d’autorité suprême. Cette scène est définie par l’état de nature comme l’a théorisé Hobbes. Cet état de nature est une situation dans laquelle chacun élabore sa propre loi sans se référer à une autorité suprême. La guerre de tous contre tous y est alors un risque permanent et la sécurité est absente de cette situation. Locke va confirmer la situation d’état de nature, potentiellement situation de guerre, mais il va fixer une conduite extérieure qui va être déterminée par la prudence et la sagesse pour tenter de tisser des liens aussi pacifiques que possible avec les voisins. Ces liens passent par des institutions politiques et des entités politiques sur la scène internationale. Les Etats pourraient alors stabiliser les relations entre eux.
C’est la théorie libérale des relations internationales qui naît ici. Cela doit tempérer les relations entre les hommes. Kant va aussi faire fonder sa théorie de la paix perpétuelle sur l’idée qu’il n’y a pas d’autorité suprême pour stabiliser les relations internationales mais qu’il faut tendre à cette paix perpétuelle. Il faut se conduire de telle manière qu’on doit favoriser les conditions et les situations de paix.

La puissance est donc un type d’acteur politique qui se développe dans une certaine situation internationale et exprime par ce développement international, une doctrine politique qui se manifeste dans son régime politique et exprime des idées historiques. D’où cette présentation de certaines conceptions qui ne sont pas que des théories de relations internationales mais qui informent et inspirent les acteurs internationaux. La philosophie kantienne inspire les défenseurs de l’Europe unie, puisqu’on parle actuellement plus de paix démocratique qui est inspirée directement de Kant. La théorie utilisée est alors une réinterprétation de Kant mais aussi une déformation de celle-ci. En effet, théoriquement, on ne respecte plus la logique de Kant, pour un usage politique. Vers la paix perpétuelle est donc l’expression d’une tradition de paix perpétuelle, volonté européenne qui date. De nombreux auteurs ont cherché une formule pour pacifier les relations européennes. On reste pourtant toujours dans le cadre d’une réflexion sur le plan institutionnel pour instaurer la paix. Cette architecture institutionnelle doit aboutir à la paix. L’héritage actuel a donc abouti à une réflexion sur l’Europe uniquement en terme organisationnel. Le souci c’est qu’en études politiques, on n’a pas de solution. Bertrand de Jouvenel soulignera qu’en politique il n’y a pas de solution. Il y a seulement des chemins, des choix, des orientations, … On n’a donc pas non plus d’interprétations définitives avec des éclairages partiels, locaux mais sans jamais avoir de théories d’ensemble éternellement exactes.

Parenthèse épistémologique :
Deux grandes orientations dominent sur les interprétations épistémologiques. Ceux qui pensent que le sens commun est en rupture avec la science politique, que pour analyser les sciences politiques, il faut rompre avec l’opinion. C’est l’image de la caverne de Platon, des ombres sur le mur, ce que nous déclarons tous les jours est une opinion (doxa), donc pas une réflexion ou une science (sce) selon cet auteur. Le philosophe se détache de ses chaînes va voir ce qui produit les ombres et à la sortie, il trouve la vérité. Ce processus de découverte de la vérité c’est la dialectique.
Pour Aristote en revanche, il n’y a pas besoin de cette rupture entre l’opinion et la vérité de la science. Pour lui, on utilise dans la science les mêmes termes que le langage commun. Les scientifiques ont leur jargon, leur langage à eux. Cependant, il n’y a pas cette rupture absolue entre les hommes de sciences sociales et le sens commun car la spécificité de ces sciences, c’est qu’elles étudient un objet qui parle, pense, se transforme, évolue, … C’est aussi un ensemble d’individus, un collectif en perpétuel mouvement et qui s’exprime. Le sens que donne le politologue à une situation ne vient pas d’en haut, il y a un dialogue perpétuel entre le scientifique et son objet.
Il y a donc une science politique qui prétend être indiscutable parce qu’elle porte un discours théorique et celle qui sait que son objet évolue, se transforme et peut contester la science émise. Deux orientations de même type existe aujourd’hui, la science marxiste qui connaît parfaitement les lois inéluctables de l’histoire, vous laisse dans des déterminismes sociaux rigides tenant à la classe sociale, les antagonismes avec les autres classes, une société de conflit de classe, … Cette interprétation est dans la ligne de Platon. A l’opposé, on trouve une conception relativiste qui considère que tout énoncé se voulant rigoureux n’est qu’une perspective entre d’autres. La science se prétend indiscutable d’une part, mais d’autre part, ce relativisme complet se contredit puisque si tout est relatif, alors la position relativiste l’est aussi. Il faut donc avoir une position intermédiaire. Auguste Comte est un scientiste qui fait des lois de l’histoire tout en étant très subtil. Durkheim, Pareto sont ces héritiers scientistes. Plus récemment, on a eu Bourdieu et Boudon. Bachelard parle de rupture épistémologique, il y a une rupture entre ceux qui regardent le soleil se coucher et les scientifiques qui voient la Terre tourner autour du soleil. Ce sont des sciences dures. En sociologie, on se place comme ces scientifiques, on veut révéler ce que les autres ne voient pas. Les relativistes plus proches d’Aristote sont en dialogue permanent avec la réalité de la société et n’ont pas de solutions, uniquement des pistes. Aron en est un représentant. Pour eux, il faut prendre au sérieux et comprendre son objet d’étude pour tenter de reconstituer le sens que les acteurs ont donné à cette situation. On ne peut donc pas considérer qu’il y a une interprétation unique et définitive des situations. Il y a un pluralisme interprétatif lié à une pluralité des points de vue. La relativité c’est varier les images et les points de vue d’un même phénomène. On ne peut étudier une situation sans avoir l’avis de ceux qui agissent.

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