Hannah Arendt
Une
puissance c’est aussi un ensemble d’entités politiques en acte qui a non
seulement des moyens, mais se pose aussi des fins. La conception de la vie
collective se traduit â un système politique particulier. La fin
d’une puissance, exprimée sur la scène internationale, ce sont l’ensemble des
objectifs que la puissance internationale se donne. Plusieurs objectifs
extérieurs reflètent un ensemble d’idées historiques de la vie politique. Le
système politique en est un, il cristallise, synthétise la conception de ce
qu’on se fait de la vie en commun. Dans
une certaine mesure, la politique extérieure va exprimer cette idée sans pour
autant que cette politique extérieure soit complètement déterminée par le
régime politique. Il n’y a pas une conduite unique que l’on pourrait attribuer
à la démocratie, à un régime totalitaire, … Cela définit tout de même des
éléments caractéristiques de la politique extérieure. Ainsi les démocraties l’action extérieure est toujours justifiée au nom
de la garantie et de la sauvegarde de droit, bref de l’endiguement de massacres
en cour ou supposés. Ce fut le cas au Kosovo, au Rwanda ou, plus proche de
nous, au Mali. L’humanitaire, le respect du droit, la démocratisation, … Autant
d’arguments soulevés par les démocraties lors de leurs interventions
extérieures.
Les régimes
totalitaires en
revanche sont plus différents. Le système soviétique communiste et le système
national-socialiste présentent deux types d’idéologies qui sont différentes
même si leurs fonctionnements sont comparables (cf Juan Linz pour une synthèse,
Hannah Arendt et Raymond Aron pour des analyses poussées). On y voit selon Hannah Arendt,
une idéologie qui est la mise en branle de la logique d’une idée. Ce n’est pas
une approche réaliste ou pragmatique, mais une exclusion de l’erreur possible.
Le réel est mis de coté pour s’adapter à l’idée de l’idéologie. Tout ce qui
dans le réel empêche l’idée de se réaliser doit être autant que possible
supprimé. Dès la prise de pouvoir de Lénine en 1918, les Tchétchennes
s’opposant au projet soviétique, il fallait les faire taire, les soumettre.
Pour Hitler, il fallait conserver la race aryenne et étendre sa sphère
d’influence en supprimant les populations jugées non pures. Les types de
politique extérieures des régimes totalitaires sont donc différentes, le style
hitlérien étant jusqu’au boutiste et le style stalinien étant plus prudent
(allié allemand, puis américain, puis ennemi américain).
On peut tout de
même trouver des éléments qui définissent de manière générale les objectifs
permanents les politiques extérieures. Dans les régimes totalitaires, on
retrouve très régulièrement l’objectif de conquête : accroître son espace ou
tout du moins, le conserver. C’est le cas de l’équilibre européen lors des
courses aux colonies du XVIII° siècle et du XIX° siècle. L’espace devient donc
le théâtre du jeu international ou bien l’enjeu de l’action internationale.
Parenthèse
sur la géopolitique :
La
géopolitique peut s’approcher de manière classique, de manière flexible ou bien
avec une définition vague de l’espace. L’espace est dans un premier temps
soumis à un déterminisme géographique en géopolitique. Les peuples sont en
conflit pour des causes géographiques. La mobilité maritime extraordinaire de
l’Angleterre lui a donné la domination complète des mers au XIX° siècle. C’est
la première approche de la géopolitique classique avec Mackinder. Il juge deux espaces
essentiels : l’île mondiale (Europe, Asie, Afrique), endroit à maîtriser,
et la terre centrale, région pivot, cœur de l’île mondiale (masse asiatique et
Est européen). Sa conception se résumait dans l’expression, qui règne sur
l’Europe orientale, règne sur la terre centrale, qui règne sur la terre
centrale, règne sur l’île mondiale et qui règne sur l’île mondiale, règne sur
le monde. Il était très craintif de l’avenir de son pays le Royaume-Uni puisque
cela le poussait à penser que le règne de l’Empire Britannique s’était appuyé
sur une puissance maritime prédominante qui était en pleine remise en cause
entre les deux guerres mondiales. En effet, certaines civilisations (Germains
contre les Slaves) tentaient d’unir l’île mondiale sous leur coupe. Il va
s’effrayer encore plus sous la montée en puissance de l’Allemagne nazie. Si un
seul domine l’île centrale, le continent qui ne sera plus fragmenté va
s’opposer à la puissance de l’empire Britannique. Prépondérance maritime et
fragmentation de la puissance continentale assuraient l’hégémonie britannique.
Il
sera repris par les géopoliticiens allemands nationalistes qui vont déformer
ses analyses. Ainsi, Mackunder a la conscience de l’industrialisation qui
permet sur un espace donné de faire vivre plus de monde. Etrangement, il va en
rester à l’idée que la démographie est très importante et donc que l’espace
devient plus restreint. Cependant, il fait comme si la croissance démographique
récente rend plus étouffante la présence accrue de population sur le terrain.
Pour les Allemands, être moins étouffé se fera par l’extension et la conquête
de terres sur les voisins.
Mais
cette analyse de Mackunder est faussée par son déterminisme qui juge l’Amérique
comme une simple périphérie du monde. Les Allemands déforment de leur coté la
théorie du britannique, les Américains vont en faire de même, avec Spykman,
pour adapter ces théories et justifier la prédominance des USA sur la nouvelle
scène mondiale des années 1940.
Dans
tout les cas, le déterminisme géographique plombe ces analyses. Quand on veut
figer un schéma, celui-ci est souvent valide pour une période donnée. Ainsi la
puissance maritime des USA va finir par écraser la puissance continentale de
l’Allemagne nazie et arrêter l’expansion soviétique à la fin de la Seconde
Guerre Mondiale. Le schéma de Mackunder commença donc à dater, à devenir obsolète.
La
géopolitique classique est un schématisme géographique. La géopolitique
flexible est une approche réaliste des politiques internationales, quels sont
les rapports de force dans quelles régions du monde ? On reste souvent sur
de simples descriptions des rapports de forces mondiaux. On peut donc décrire
la situation actuelle avec une puissance dominante des USA sur le continent,
puis selon les régions, on trouve des puissances qui influencent localement et
concurrence localement les USA (Brésil en Amérique du Sud, Inde concurrencée
par la Chine en Asie, …). La vision est plus flexible et plus vague selon une
analyse réaliste classique. Une utilisation encore plus vague est possible.
Reprise
du cours :
L’espace est
surtout important par ce que l’on en fait, par ce qu’il comporte. Les hommes
sont donc encore plus déterminants puisqu’ils façonnent l’espace. Les hommes sont aussi un élément
fort de la politique extérieure. De nouveau, pour les protéger et les encadrer
ou pour les dominer. Pour les conquérir, on peut l’exprimer en disant que l’on
va chercher la gloire, qui passe par les populations.
On a aussi une
prédominance de conquête des hommes, par les esprits et les âmes, il faut
conquérir les esprits, s’attacher les âmes, … Cela se traduit parce qu’on fait les puissances
démocratiques et l’ONU dans les Balkans, les faire adhérer à la démocratie.
Pousser les Serbes et les Musulmans du Kosovo à coexister ensemble ? C’est
assurer que la démocratie, la tolérance de l’autre est le meilleur des régimes.
L’offensive des groupes islamistes est aussi une volonté de conquérir les âmes
mais au nom d’une autre doctrine. Le geste est le même, la conquête des
opinions par la prédominance d’un certain type d’idées.
Avec ces trois
tendances (espace, hommes, esprits), on peut tenter de prévoir une politique
extérieure mais de nombreux facteurs influencent cela que ce soit
contextuellement ou structurellement. Cela explique que l’analyse des relations
internationales n’est pas une science dure. En géopolitique, on est rarement sur, on est
toujours dans un flou. Rien n’est tout blanc ou tout noir, on joue sur des
teintes de gris. Carl Schmitt déclarait d’ailleurs « Est souverain, celui qui décide en situation extrême. ». Celui
qui prend la décision ultime à donc la souveraineté, en France, c’est le
Gouvernement en accord avec les chambres législatives. Dans l’ordre
international en revanche, cela est beaucoup moins net, nous n’avons pas
clairement d’autorité en dernier ressort. L’indétermination
est complète en politique extérieure puisque rien n’est fixe, il n’y a pas
d’autorité suprême. Cette scène est définie par l’état de nature comme l’a
théorisé Hobbes. Cet état de nature est
une situation dans laquelle chacun élabore sa propre loi sans se référer à une
autorité suprême. La guerre de tous contre tous y est alors un risque permanent
et la sécurité est absente de cette situation. Locke va confirmer la situation
d’état de nature, potentiellement situation de guerre, mais il va fixer une
conduite extérieure qui va être déterminée par la prudence et la sagesse pour
tenter de tisser des liens aussi pacifiques que possible avec les voisins. Ces
liens passent par des institutions politiques et des entités politiques sur la
scène internationale. Les Etats pourraient alors stabiliser les relations entre
eux.
C’est la théorie
libérale des relations internationales qui naît ici. Cela doit tempérer les
relations entre les hommes. Kant va aussi
faire fonder sa théorie de la paix perpétuelle sur l’idée qu’il n’y a pas
d’autorité suprême pour stabiliser les relations internationales mais qu’il
faut tendre à cette paix perpétuelle. Il
faut se conduire de telle manière qu’on doit favoriser les conditions et les
situations de paix.
La puissance est
donc un type d’acteur politique qui se développe dans une certaine situation
internationale et exprime par ce développement international, une doctrine
politique qui se manifeste dans son régime politique et exprime des idées
historiques. D’où cette présentation de certaines conceptions qui ne sont pas
que des théories de relations internationales mais qui informent et inspirent
les acteurs internationaux.
La philosophie kantienne inspire les défenseurs de l’Europe unie, puisqu’on
parle actuellement plus de paix démocratique qui est inspirée directement de
Kant. La théorie utilisée est alors une réinterprétation de Kant mais aussi une
déformation de celle-ci. En effet, théoriquement, on ne respecte plus la
logique de Kant, pour un usage politique. Vers
la paix perpétuelle est donc l’expression d’une tradition de paix
perpétuelle, volonté européenne qui date. De nombreux auteurs ont cherché une
formule pour pacifier les relations européennes. On reste pourtant toujours dans le cadre d’une réflexion sur le plan
institutionnel pour instaurer la paix. Cette architecture institutionnelle
doit aboutir à la paix. L’héritage
actuel a donc abouti à une réflexion sur l’Europe uniquement en terme
organisationnel. Le souci c’est qu’en études politiques, on n’a pas de
solution. Bertrand
de Jouvenel soulignera qu’en politique il n’y a pas de solution. Il y a
seulement des chemins, des choix, des orientations, … On n’a donc pas non
plus d’interprétations définitives avec des éclairages partiels, locaux mais
sans jamais avoir de théories d’ensemble éternellement exactes.
Parenthèse
épistémologique :
Deux grandes
orientations dominent sur les interprétations épistémologiques. Ceux qui
pensent que le sens commun est en rupture avec la science politique, que pour
analyser les sciences politiques, il faut rompre avec l’opinion. C’est l’image
de la caverne de Platon, des ombres sur le mur, ce que
nous déclarons tous les jours est une opinion (doxa), donc pas une réflexion ou une science (sce) selon cet auteur. Le philosophe se détache de ses chaînes va
voir ce qui produit les ombres et à la sortie, il trouve la vérité. Ce
processus de découverte de la vérité c’est la dialectique.
Pour Aristote en revanche, il n’y a pas besoin de cette
rupture entre l’opinion et la vérité de la science. Pour lui, on utilise dans
la science les mêmes termes que le langage commun. Les scientifiques ont leur
jargon, leur langage à eux. Cependant, il n’y a pas cette rupture absolue entre
les hommes de sciences sociales et le sens commun car la spécificité de ces
sciences, c’est qu’elles étudient un objet qui parle, pense, se transforme,
évolue, … C’est aussi un ensemble d’individus, un collectif en perpétuel
mouvement et qui s’exprime. Le sens que
donne le politologue à une situation ne vient pas d’en haut, il y a un dialogue
perpétuel entre le scientifique et son objet.
Il y a donc une
science politique qui prétend être indiscutable parce qu’elle porte un discours
théorique et celle qui sait que son objet évolue, se transforme et peut
contester la science émise.
Deux orientations de même type existe
aujourd’hui, la science marxiste qui connaît parfaitement les lois
inéluctables de l’histoire, vous laisse dans des déterminismes sociaux rigides
tenant à la classe sociale, les antagonismes avec les autres classes, une
société de conflit de classe, … Cette interprétation est dans la ligne de
Platon. A l’opposé, on trouve une
conception relativiste qui considère que tout énoncé se voulant rigoureux
n’est qu’une perspective entre d’autres. La science se prétend indiscutable
d’une part, mais d’autre part, ce relativisme complet se contredit puisque si
tout est relatif, alors la position relativiste l’est aussi. Il faut donc avoir une position
intermédiaire. Auguste Comte est un
scientiste qui fait des lois de l’histoire tout en étant très subtil. Durkheim,
Pareto sont ces héritiers scientistes. Plus récemment, on a eu Bourdieu et Boudon.
Bachelard parle de rupture épistémologique,
il y a une rupture entre ceux qui regardent le soleil se coucher et les
scientifiques qui voient la Terre tourner autour du soleil. Ce sont des
sciences dures. En sociologie, on se place comme ces scientifiques, on veut
révéler ce que les autres ne voient pas. Les relativistes plus proches d’Aristote
sont en dialogue permanent avec la réalité de la société et n’ont pas de
solutions, uniquement des pistes. Aron en est un représentant. Pour eux, il faut prendre au sérieux et comprendre
son objet d’étude pour tenter de reconstituer le sens que les acteurs ont donné
à cette situation. On ne peut donc pas considérer qu’il y a une interprétation
unique et définitive des situations. Il y a un pluralisme interprétatif lié à
une pluralité des points de vue. La relativité c’est varier les images et les
points de vue d’un même phénomène. On ne peut étudier une situation sans
avoir l’avis de ceux qui agissent.
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