Puisqu'on a le Président qu'on mérite, a-t-on les représentants qu'on mérite ?
Les
droits et libertés de la colonie du Massachussetts
distinguent les pouvoirs et les sépare. La monarchie absolue distinguait les pouvoirs mais
ne les séparait pas. Hobbes avait déjà distingué les pouvoirs dans
son Léviathan.
La théorie de la
séparation des pouvoirs est une autre affaire. Il faut séparer ces pouvoirs et
les distribuer à des institutions distinctes. Aux XVII° et XVIII° siècles, cela
est loin d’être la théorie dominante. Montesquieu dans son De l’esprit des lois, note dans le livre 11 une description
des pouvoirs en Angleterre. Dans la Constitution anglaise de 1688 – 1689, il
remarque la séparation nette entre le pouvoir exécutif, législatif et
judiciaire. En réalité, Montesquieu
projette sur le système anglais une séparation des pouvoirs qui ne s’y trouve
pas.
Si
l’on se réfère aux Révolutions anglaises, au Second Traité de Gouvernement de John Locke, mercantiliste à
l’époque, libéral pour nous, il y a une
distinction du pouvoir mais aucune séparation puisque celle-ci n’existe pas. Le lieu de la souveraineté reste le roi
dans le parlement, ce qui est une chose très étrange. Au fil des siècles on
verra d’ailleurs le roi perdre son statut de détenteur du pouvoir. Pourtant à
l’époque il combine des pouvoirs judiciaires, exécutifs et législatifs. La
séparation n’est pas effective, en revanche, il y entre les juges, les
parlementaires et le roi ainsi que son conseil, il y a un système de checks and balances. Quand Locke veut
nettement distinguer un pouvoir exécutif qui se séparerait de ce cadre,
il ???. On n’est pas dans la théorie nette et tranchée que Montesquieu
superpose sur le système anglais. On n’est pas non plus, dans la même vision
que celle des colons américains, qui vont instaurer noir sur blanc cette
séparation des pouvoirs. D’ailleurs Jefferson se réfèrera souvent à Montesquieu.
Toute la période
entre l’exécution de Charles I et la
restauration, dites la période du Commonwealth
(terme neutre
qui signifie à peu près « res
publica », la chose publique),
est une période durant laquelle personne
ne sait réellement dans quel régime on se trouve. On est dans un régime
inqualifiable. Ainsi lorsqu’Oliver Cromwell est porté au pouvoir, il y a ceux
qui sont parti sur un changement de dynastie, Cromwell sera le nouveau roi. Or
il refuse. En conséquence, on va chercher un vieux mot pour le qualifier :
Lord protector. C’est un vieux
statut qui signifie plus ou moins « chef des armées » et n’est valide
que dans certaines situations. On a donc un régime inqualifiable, c’est une
république mais pas comme celle des Grecs, ni celle des Américains et encore
moins celle de Robespierre. Aujourd’hui
encore les historiens hésitent sur la manière de qualifier ce régime.
Toujours est-il que
dans la colonie américaine, les troubles politiques en métropole sont tels que
la colonie profite de sa charte et de sa grande indépendance pour continuer à
gagner en autonomie et vivre à sa manière.
Lorsque
le roi Charles II reprend son trône, tous les actes du Parlement de la
restauration et du roi sont datés à partir de la date du décès de son père
Charles I. Du coup, Charles II va entériner la quasi-totalité les
actes signés par le Parlement sous le règne de Cromwell. C’est l’occasion de
jeter un voile sur la période du Commonwealth et de recommencer comme si rien
ne s’était passé. Inévitablement, les actes annulés concernent la colonie.
On a quitté une royauté, eu une guerre civile avec son régicide, une république
et on redémarre sur une royauté. Le
problème qui revient alors sur le devant de la scène, c’est celui de la
représentation au Parlement.
Le régime est
censitaire et au moment où la guerre civile éclate en Angleterre, l’inflation
européenne est telle que les lois régissant le régime censitaire n’ayant pas
été modifiées, le seuil du cens avait littéralement chuté. Dorénavant, il y a plus
d’électeurs au suffrage censitaire qu’il n’y en aura au cours du XIX° siècle.
La question est alors soulevée par des
Révolutionnaires radicaux, puisque les hommes sont supposés avoir été créés
par Dieu libres et égaux, à quelles conditions ces hommes se lient les uns aux
autres dans un système qui les soumet à un pouvoir quelconque ? La réponse
des radicaux est que ce qui les lie les
hommes en société, c’est le fait qu’ils consentent à perdre une part de leurs
libertés et à se lier. Mais quand nous consentons à entrer dans une société
politique, nous abandonnons une part de notre liberté hors de cette société, on
abandonne une part de nos droits naturels. Lesquels doit-on abandonner ?
Tous ? Aucun ? Certains particuliers ? Comment effectue-t-on cet
abandon ? … Le modèle contractuel reste
la référence et les solutions qui lui sont associées vont lier les théories de
Hobbes et celles des Radicaux anglais. Puisque les hommes consentent à abandonner
un certains nombres de libertés initiales à leur entrée dans la société, ils
doivent consentir au travers de quelqu’un ou de quelque chose. Cette théorie ne
légitime aucun système politique particulier, la seule chose évidente,
c’est qu’il faut des élections (???).
On a deux extrêmes
possibles à cette époque sur cette question de la représentation, les
radicaux extrêmes d’une part et la théorie de Hobbes d’autre part.
Hobbes était un
théoricien de la souveraineté absolue. Le souverain de Hobbes est tenu comme
représentant de l’ensemble du peuple. Le
peuple, pour Hobbes, c’est la somme de tous les individus de la société
anglaise du plus jeune bébé à la plus vieille femme. Cette collection
d’individus constitue un peuple seulement à travers le fait, qu’ils sont
représentés dans la personne du souverain. S’il
s’agit de personnifier l’unité d’un peuple, alors une monarchie vaut mieux car
elle présente une véritable unité. Le Parlement donne l’impression d‘un peuple
divisé et moins unitaire. La base de la théorie de cette représentation c’est
le statut juridique des personnes morales. Ainsi les universités signent
des contrats (pour des achats, pour des partenariats, …) ce sont des personnes
morales mais qui ne sont représentées que par le Président de l’université. En
cas de litiges, c’est ce Président qui se retrouve devant les tribunaux civils
en tant que personnification de l’université. C’est cette perception juridique
que Hobbes applique dans sa théorie. Ainsi, le souverain est la
personnification de l’Etat, il est autorisé chaque fois qu’il fait une loi, à
exprimer la volonté du peuple. Une loi
royale est donc une loi du peuple dans son intégralité. Ainsi, on a chez
Hobbes, une représentation totalement abstraite car le roi est moins un
individu qu’une source du droit dans un Etat de droit, et le peuple est tout
aussi abstrait, ce sont des individus lambda pris indépendamment de leur
sexe, de leur âge, … L’autre souci est que si le peuple est entièrement
représenté par son souverain, il n’y a pas de contrôle sur la représentation.
Pire encore, cette représentation s’avère être un abandon de ??? J’ai seulement le droit de résister quand
le souverain s’en prend à mon intégrité physique ou à ma survie. Néanmoins, le
souverain a parfaitement le droit de me tuer si les raisons sont légitimes.
Le conflit est alors insoluble d’un point de vue du droit. Seul le rapport de
force peut le résoudre et Hobbes fait remarquer que le souverain n’aurait
d’ailleurs aucune puissance sans l’obéissance de ses gardes. Toute autre résistance que celle exercée
devant la mort imminente, n’est ni légale, ni légitime. Cependant, ces révoltes
ont lieu dans la société, pour Hobbes c’est un fait, pas un droit. La Révolution
a lieu lorsqu’on se retrouve dans un Etat d’anomie, brutalement, la société et
le peuple perdent leur cohésion, c’est la guerre civile pour Hobbes. Un nouveau
pouvoir vient alors prendre la place sur ses décombres. Il nie ainsi les
Révolutions puisque pour lui c’est une révolte qui a réussi et qui au moment de
sa victoire disparait pour un autre pouvoir. Un pouvoir souverain même
démoniaque, reste souverain. Pour lui, un tyran n’est qu’un souverain que l’on
n’apprécie pas. C’est une théorie de la représentation personnification mais
cela reste abstrait.
A l’opposé de
Hobbes, certains Niveleurs partent de la situation concrète plutôt que d’une
situation abstraite. On a un Parlement dont les députés sont élus par un
fragment de la population. Leur argument est de se demander, jusqu’à quel point
un consentement peut être délégué.
Vers 1646, ils se posent une question dont
la résolution finale sera le vote des femmes en 1926. Cette question porte sur
le suffrage. Jusqu’à quel point et quelles conditions ceux qui ne votent pas
sont-ils représentés ? Les plus radicaux se situent sur un suffrage
universel masculin, adulte et sans les individus dans des positions de
dépendance, en faisant tomber le suffrage censitaire. En revanche cette théorie
niveleuse est une théorie floue, la représentation censitaire truc (???) sur
les franchises dépendant de la propriété privée surtout foncière. Cela veut
dire qu’une fois propriétaire, un impôt
est prélevé sur la propriété. Si les Niveleurs refusent le vote des indigents,
c’est parce que ces derniers n’ont pas de biens ni à défendre, ni à prélever.
Du coup, ils n’ont aucun intérêt de la préservation des droits des sujets
puisqu’ils ne sont pas taxés et n’ont aucun bien à se voir préserver. La
représentation ne les touche pas. Sont représentés ceux qui ont des intérêts à
préserver et sur lesquels on les taxe. Ces intérêts étant liés à la propriété.
Lorsque
sur la base des théories des niveleurs, Locke quelques décennies plus tard, va
écrire son ouvrage, il va se demander comment aller vers un suffrage élargi,
voire universel, tout en maintenant que le principe de la représentation soit
les intérêts que les individus ont au maintien de la situation. Hobbes se moque
des libertés et des privilèges, les Niveleurs, souvent membres du Parlement,
conservent les libertés et les privilèges d’une Angleterre traditionnelle. Chez Locke, tous les droits dépendent donc
de la propriété, pourquoi pas. Mais comment définir la racine de la
propriété ? Le souci est que tout individu produit ses propres pensées,
hors ce produit est une forme de propriété, donc tous devrait être représentés.
Pour Locke, tout homme est propriétaire de ses pensées (de son corps non,
c’est Dieu qui l’a fabriqué, du coup interdiction de vendre son corps,
interdiction de l’acheter pour autrui, Locke condamne l’esclavage volontaire ou
non). Aujourd’hui, il existe dans les
lois une indisponibilité du corps : on fait des dons du sang, d’organes, …
jamais de vente. La représentation étant
liée à la propriété, il s’en suit donc, selon la théorie de Locke, si le
suffrage peut être universel dans le cadre qui le rendait censitaire, alors
femmes et enfants sont des propriétaires et doivent être représentés.
On a donc ces deux
opposés entre une représentation universelle qui prend deux aspects différents
puisque chez les Niveleurs, puis chez Locke, le principe de la représentation
n’est pas un abandon de droits à ceux qui me représentent, mais une délégation.
On n’a donc plus une personnification de la société mais bien une délégation
donnée à des commis sous conditions qu’ils remplissent la fonction qui leur fut
déléguée. Du coup, il n’y a pas de représentation sans possibilité de retirer
aux représentants leurs mandats.
Sur cette base, les
Anglais élisent des représentants qui ont un mandat limité et qui est remis en
jeu lors des élections suivantes. La question qui fait alors un bond dans les
colonies américaines est la suivante. Puisque le représentant est mandaté par
ce qu’il représente, est-ce que ce mandat est impératif ou non ? Quelle est la marge de distance entre
le représentant et le représenté ? Comment est conçue la fonction de
représentation ?
En
français et en anglais, le terme de représentation est ambigu. Il signifie à la
fois « tenant lieu » et « illustration ». Ainsi le
Président représente la France et un tableau représente le Président. John Adams, second Président des USA, un des pères
de la Déclaration d’Indépendance, puis de la Constitution. Adams expliquait
dans un pamphlet que si l’on voulait que les représentants du Parlement (car le
législatif a ici un pouvoir considérable) n’aboutissent pas à opprimer les
citoyens, il fallait qu’ils soient le reflet de tout les intérêts dans leur
diversité présents dans la population. Ce
représentant devra être non seulement le tenant lieu des citoyens, mais encore
qu’il en soit l’image en terme d’intérêts sociaux, en termes d’Etats, en terme
démographique, ... Adams proposait plusieurs méthodes de calculs où la
représentation serait d’autant plus légitime qu’elle est la tenant lieu et
l’image de la population. Si on veut un système, il faut que des groupes de la
population s’organisent et donnent un représentant qui aurait un logo
symbolique. Cela se voit notamment en France dans les élections locales où les
candidats se revendiques proches de leurs électeurs disant parfois « Je suis comme vous ».
Le débat sur le
mandat impératif développé par les colons américains, naît par opposition
à la représentation virtuelle des députés anglais qui ne représentaient
pas plus les Américains que les Anglais, notamment en matière de taxations et
d’impositions. Le mandat impératif, c’est l’idée que le représentant devra
tenir la position que ses électeurs attendent de lui. C’est l’inverse de nos
systèmes actuels où les représentants ont la liberté de leur vote puisqu’ils
représentent certes leurs élus, mais ils représentent aussi l’ensemble des
électeurs.
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