dimanche 14 octobre 2012

Angleterre - Amérique 11 - 10 (cours 2)

 Puisqu'on a le Président qu'on mérite, a-t-on les représentants qu'on mérite ?



Les droits et libertés de la colonie du Massachussetts distinguent les pouvoirs et les sépare. La monarchie absolue distinguait les pouvoirs mais ne les séparait pas. Hobbes avait déjà distingué les pouvoirs dans son Léviathan.
La théorie de la séparation des pouvoirs est une autre affaire. Il faut séparer ces pouvoirs et les distribuer à des institutions distinctes. Aux XVII° et XVIII° siècles, cela est loin d’être la théorie dominante. Montesquieu dans son De l’esprit des lois, note dans le livre 11 une description des pouvoirs en Angleterre. Dans la Constitution anglaise de 1688 – 1689, il remarque la séparation nette entre le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. En réalité, Montesquieu projette sur le système anglais une séparation des pouvoirs qui ne s’y trouve pas.
Si l’on se réfère aux Révolutions anglaises, au Second Traité de Gouvernement de John Locke, mercantiliste à l’époque, libéral pour nous, il y a une distinction du pouvoir mais aucune séparation puisque celle-ci n’existe pas. Le lieu de la souveraineté reste le roi dans le parlement, ce qui est une chose très étrange. Au fil des siècles on verra d’ailleurs le roi perdre son statut de détenteur du pouvoir. Pourtant à l’époque il combine des pouvoirs judiciaires, exécutifs et législatifs. La séparation n’est pas effective, en revanche, il y entre les juges, les parlementaires et le roi ainsi que son conseil, il y a un système de checks and balances. Quand Locke veut nettement distinguer un pouvoir exécutif qui se séparerait de ce cadre, il ???. On n’est pas dans la théorie nette et tranchée que Montesquieu superpose sur le système anglais. On n’est pas non plus, dans la même vision que celle des colons américains, qui vont instaurer noir sur blanc cette séparation des pouvoirs. D’ailleurs Jefferson se réfèrera souvent à Montesquieu.

Toute la période entre l’exécution de Charles I et la restauration, dites la période du Commonwealth (terme neutre qui signifie à peu près « res publica », la chose publique), est une période durant laquelle personne ne sait réellement dans quel régime on se trouve. On est dans un régime inqualifiable. Ainsi lorsqu’Oliver Cromwell est porté au pouvoir, il y a ceux qui sont parti sur un changement de dynastie, Cromwell sera le nouveau roi. Or il refuse. En conséquence, on va chercher un vieux mot pour le qualifier : Lord protector. C’est un vieux statut qui signifie plus ou moins « chef des armées » et n’est valide que dans certaines situations. On a donc un régime inqualifiable, c’est une république mais pas comme celle des Grecs, ni celle des Américains et encore moins celle de Robespierre. Aujourd’hui encore les historiens hésitent sur la manière de qualifier ce régime.
Toujours est-il que dans la colonie américaine, les troubles politiques en métropole sont tels que la colonie profite de sa charte et de sa grande indépendance pour continuer à gagner en autonomie et vivre à sa manière.

Lorsque le roi Charles II reprend son trône, tous les actes du Parlement de la restauration et du roi sont datés à partir de la date du décès de son père Charles I. Du coup, Charles II va entériner la quasi-totalité les actes signés par le Parlement sous le règne de Cromwell. C’est l’occasion de jeter un voile sur la période du Commonwealth et de recommencer comme si rien ne s’était passé. Inévitablement, les actes annulés concernent la colonie. On a quitté une royauté, eu une guerre civile avec son régicide, une république et on redémarre sur une royauté. Le problème qui revient alors sur le devant de la scène, c’est celui de la représentation au Parlement.
Le régime est censitaire et au moment où la guerre civile éclate en Angleterre, l’inflation européenne est telle que les lois régissant le régime censitaire n’ayant pas été modifiées, le seuil du cens avait littéralement chuté. Dorénavant, il y a plus d’électeurs au suffrage censitaire qu’il n’y en aura au cours du XIX° siècle. La question est alors soulevée par des Révolutionnaires radicaux, puisque les hommes sont supposés avoir été créés par Dieu libres et égaux, à quelles conditions ces hommes se lient les uns aux autres dans un système qui les soumet à un pouvoir quelconque ? La réponse des radicaux est que ce qui les lie les hommes en société, c’est le fait qu’ils consentent à perdre une part de leurs libertés et à se lier. Mais quand nous consentons à entrer dans une société politique, nous abandonnons une part de notre liberté hors de cette société, on abandonne une part de nos droits naturels. Lesquels doit-on abandonner ? Tous ? Aucun ? Certains particuliers ? Comment effectue-t-on cet abandon ? … Le modèle contractuel reste la référence et les solutions qui lui sont associées vont lier les théories de Hobbes et celles des Radicaux anglais. Puisque les hommes consentent à abandonner un certains nombres de libertés initiales à leur entrée dans la société, ils doivent consentir au travers de quelqu’un ou de quelque chose. Cette théorie ne légitime aucun système politique particulier, la seule chose évidente, c’est qu’il faut des élections (???).
On a deux extrêmes possibles à cette époque sur cette question de la représentation, les radicaux extrêmes d’une part et la théorie de Hobbes d’autre part.
Hobbes était un théoricien de la souveraineté absolue. Le souverain de Hobbes est tenu comme représentant de l’ensemble du peuple. Le peuple, pour Hobbes, c’est la somme de tous les individus de la société anglaise du plus jeune bébé à la plus vieille femme. Cette collection d’individus constitue un peuple seulement à travers le fait, qu’ils sont représentés dans la personne du souverain. S’il s’agit de personnifier l’unité d’un peuple, alors une monarchie vaut mieux car elle présente une véritable unité. Le Parlement donne l’impression d‘un peuple divisé et moins unitaire. La base de la théorie de cette représentation c’est le statut juridique des personnes morales. Ainsi les universités signent des contrats (pour des achats, pour des partenariats, …) ce sont des personnes morales mais qui ne sont représentées que par le Président de l’université. En cas de litiges, c’est ce Président qui se retrouve devant les tribunaux civils en tant que personnification de l’université. C’est cette perception juridique que Hobbes applique dans sa théorie. Ainsi, le souverain est la personnification de l’Etat, il est autorisé chaque fois qu’il fait une loi, à exprimer la volonté du peuple. Une loi royale est donc une loi du peuple dans son intégralité. Ainsi, on a chez Hobbes, une représentation totalement abstraite car le roi est moins un individu qu’une source du droit dans un Etat de droit, et le peuple est tout aussi abstrait, ce sont des individus lambda pris indépendamment de leur sexe, de leur âge, … L’autre souci est que si le peuple est entièrement représenté par son souverain, il n’y a pas de contrôle sur la représentation. Pire encore, cette représentation s’avère être un abandon de ??? J’ai seulement le droit de résister quand le souverain s’en prend à mon intégrité physique ou à ma survie. Néanmoins, le souverain a parfaitement le droit de me tuer si les raisons sont légitimes. Le conflit est alors insoluble d’un point de vue du droit. Seul le rapport de force peut le résoudre et Hobbes fait remarquer que le souverain n’aurait d’ailleurs aucune puissance sans l’obéissance de ses gardes. Toute autre résistance que celle exercée devant la mort imminente, n’est ni légale, ni légitime. Cependant, ces révoltes ont lieu dans la société, pour Hobbes c’est un fait, pas un droit. La Révolution a lieu lorsqu’on se retrouve dans un Etat d’anomie, brutalement, la société et le peuple perdent leur cohésion, c’est la guerre civile pour Hobbes. Un nouveau pouvoir vient alors prendre la place sur ses décombres. Il nie ainsi les Révolutions puisque pour lui c’est une révolte qui a réussi et qui au moment de sa victoire disparait pour un autre pouvoir. Un pouvoir souverain même démoniaque, reste souverain. Pour lui, un tyran n’est qu’un souverain que l’on n’apprécie pas. C’est une théorie de la représentation personnification mais cela reste abstrait.
A l’opposé de Hobbes, certains Niveleurs partent de la situation concrète plutôt que d’une situation abstraite. On a un Parlement dont les députés sont élus par un fragment de la population. Leur argument est de se demander, jusqu’à quel point un consentement peut être délégué. Vers 1646, ils se posent une question dont la résolution finale sera le vote des femmes en 1926. Cette question porte sur le suffrage. Jusqu’à quel point et quelles conditions ceux qui ne votent pas sont-ils représentés ? Les plus radicaux se situent sur un suffrage universel masculin, adulte et sans les individus dans des positions de dépendance, en faisant tomber le suffrage censitaire. En revanche cette théorie niveleuse est une théorie floue, la représentation censitaire truc (???) sur les franchises dépendant de la propriété privée surtout foncière. Cela veut dire qu’une fois propriétaire, un impôt est prélevé sur la propriété. Si les Niveleurs refusent le vote des indigents, c’est parce que ces derniers n’ont pas de biens ni à défendre, ni à prélever. Du coup, ils n’ont aucun intérêt de la préservation des droits des sujets puisqu’ils ne sont pas taxés et n’ont aucun bien à se voir préserver. La représentation ne les touche pas. Sont représentés ceux qui ont des intérêts à préserver et sur lesquels on les taxe. Ces intérêts étant liés à la propriété.
Lorsque sur la base des théories des niveleurs, Locke quelques décennies plus tard, va écrire son ouvrage, il va se demander comment aller vers un suffrage élargi, voire universel, tout en maintenant que le principe de la représentation soit les intérêts que les individus ont au maintien de la situation. Hobbes se moque des libertés et des privilèges, les Niveleurs, souvent membres du Parlement, conservent les libertés et les privilèges d’une Angleterre traditionnelle. Chez Locke, tous les droits dépendent donc de la propriété, pourquoi pas. Mais comment définir la racine de la propriété ? Le souci est que tout individu produit ses propres pensées, hors ce produit est une forme de propriété, donc tous devrait être représentés. Pour Locke, tout homme est propriétaire de ses pensées (de son corps non, c’est Dieu qui l’a fabriqué, du coup interdiction de vendre son corps, interdiction de l’acheter pour autrui, Locke condamne l’esclavage volontaire ou non).  Aujourd’hui, il existe dans les lois une indisponibilité du corps : on fait des dons du sang, d’organes, … jamais de vente. La représentation étant liée à la propriété, il s’en suit donc, selon la théorie de Locke, si le suffrage peut être universel dans le cadre qui le rendait censitaire, alors femmes et enfants sont des propriétaires et doivent être représentés.
On a donc ces deux opposés entre une représentation universelle qui prend deux aspects différents puisque chez les Niveleurs, puis chez Locke, le principe de la représentation n’est pas un abandon de droits à ceux qui me représentent, mais une délégation. On n’a donc plus une personnification de la société mais bien une délégation donnée à des commis sous conditions qu’ils remplissent la fonction qui leur fut déléguée. Du coup, il n’y a pas de représentation sans possibilité de retirer aux représentants leurs mandats.

Sur cette base, les Anglais élisent des représentants qui ont un mandat limité et qui est remis en jeu lors des élections suivantes. La question qui fait alors un bond dans les colonies américaines est la suivante. Puisque le représentant est mandaté par ce qu’il représente, est-ce que ce mandat est impératif ou non ? Quelle est la marge de distance entre le représentant et le représenté ? Comment est conçue la fonction de représentation ?
En français et en anglais, le terme de représentation est ambigu. Il signifie à la fois « tenant lieu » et « illustration ». Ainsi le Président représente la France et un tableau représente le Président. John Adams, second Président des USA, un des pères de la Déclaration d’Indépendance, puis de la Constitution. Adams expliquait dans un pamphlet que si l’on voulait que les représentants du Parlement (car le législatif a ici un pouvoir considérable) n’aboutissent pas à opprimer les citoyens, il fallait qu’ils soient le reflet de tout les intérêts dans leur diversité présents dans la population. Ce représentant devra être non seulement le tenant lieu des citoyens, mais encore qu’il en soit l’image en terme d’intérêts sociaux, en termes d’Etats, en terme démographique, ... Adams proposait plusieurs méthodes de calculs où la représentation serait d’autant plus légitime qu’elle est la tenant lieu et l’image de la population. Si on veut un système, il faut que des groupes de la population s’organisent et donnent un représentant qui aurait un logo symbolique. Cela se voit notamment en France dans les élections locales où les candidats se revendiques proches de leurs électeurs disant parfois « Je suis comme vous ».
Le débat sur le mandat impératif développé par les colons américains, naît par opposition à la représentation virtuelle des députés anglais qui ne représentaient pas plus les Américains que les Anglais, notamment en matière de taxations et d’impositions. Le mandat impératif, c’est l’idée que le représentant devra tenir la position que ses électeurs attendent de lui. C’est l’inverse de nos systèmes actuels où les représentants ont la liberté de leur vote puisqu’ils représentent certes leurs élus, mais ils représentent aussi l’ensemble des électeurs.

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