mercredi 17 octobre 2012

Histoire des idées politiques 15 - 10 (cours 3)


 Communism, Kokkoroo, deviantart


Lorsque Lénine a pris le pouvoir, les querelles d’interprétation se sont maintenues. Leur unique moment d’arrêt fut une fois que Lénine parvint à dissoudre les Mencheviks, les tuer ou les emprisonner. Souvent tués de manière informelle dans les caves de la Lubianka, les Mencheviks étaient de véritables détracteurs de la politique de Lénine. Ainsi Martov avait écrit un réquisitoire très important contre le communisme. Pour lui, la vision de Lénine était utopiste et que comme toute utopie en marche, cela finirait dans le sang. L’utopie qui veut se réaliser, engendre la Terreur. En effet, l’utopie va à l’encontre de l’humain puisqu’on nous oblige à être conformes à une utopie, à être parfait. Or l’humain est imparfait. Impossible pour l’homme d’être parfait, sauf sous le contrainte d’une Terreur, et encore. Un Gouvernement n’est donc pas fait pour nous inculquer la vertu et la morale.
Cependant, Lénine l’a fait, il a voulu créer son utopie et pour y contraindre les gens, il leur a supprimé leurs libertés. Lénine s’est donc trouvé dans une situation concrète que Marx avait imaginé à Londres. Lénine a vite compris que les réalités individuelles allaient à l’encontre de son utopie, que peu de gens le suivrait entièrement. Ainsi, quand les diversités d’opinion explosent, et ce avant même la Révolution, les Mencheviks annoncent à Lénine qu’il lui faut abandonner son idéologie. S’il veut agir trop vite, il ira vers le despotisme. Lénine juge ne pas avoir le temps et pour les Mencheviks, il file droit vers le despotisme. Ce qui adviendra ensuite, confirmera aux Mencheviks que la mise en place du communisme est de fait un énième despotisme oriental.

Là-dessus, un personnage important apparaît. Trotski, homme intellectuel plutôt solitaire mais moins charismatique que Lénine, s’affirme dans ce contexte. Trotski va poser la question de la Révolution permanente : lorsque l’on met en place l’utopie marxiste, on constate que des perversions apparaissent tout de suite. Ainsi chez Mao qui a mis en place cette Révolution permanente, on a eut dans les villages l’instauration de kolkhozes qui obligent les gens à aller manger hors de chez eux dans un esprit de mise en commun. Au bout de très peu de temps, les membres du Parti Communiste, gérant le kolkhoze, s’approprient un peu plus de nourriture et de meilleure qualité. Le système se pervertit tout de suite alors même que le but est de supprimer les riches. En conséquence, on fait tourner les membres du parti très régulièrement en supprimant les membres du parti corrompus par d’autres membres du parti plus jeunes. Cette Révolution permanente cherche à éliminer les perversions du système.
On peut se réfèrer à Max Weber, qui juge que l’État est l’organisation de la violence légitime pour mater une certaine classe, la bourgeoisie, classe des exploiteurs. Or pour diriger la répression, seuls les exploités pouvaient lutter contre la bourgeoisie. C’est donc l’organisation du prolétariat qui doit utiliser la pure violence pour faire tomber la bourgeoisie. C’est la dictature du prolétariat justifiée par le fait que la morale et le droit sont des constructions bourgeoises. La dictature du prolétariat est donc arbitraire et cynique, elle lutte contre la classe bourgeoise. Ensuite seulement quand, la classe dirigeante est détruite, on va recréer une morale propre au prolétariat. Dans ce pays le droit et la morale n’étaient pas universels. La dictature devait donc être celle du prolétariat sauf que cela est délicat quand le prolétariat n’est pas prêt à agir de lui-même. Pour Lénine, c’est donc au parti d’organiser la dictature du prolétariat. Mais en conséquence, cela risque de devenir une dictature sur le prolétariat. Les Mencheviks avaient compris cela, Trotski aussi. Il rédige alors Communisme et terrorisme dans lequel il explique qu’au nom du bien du prolétariat, le parti mène la dictature du prolétariat. Le parti considère le prolétariat comme un enfant, il pense savoir où est le bien du prolétariat, pas ce dernier. Naturellement, cette dictature ne pouvait résoudre le problème de la Révolution ainsi que de nombreux autres. Déjà, en Russie, on n’avait presque pas de prolétariat, on avait surtout une vaste paysannerie aux humeurs diverses et changeantes. On ne peut pas manipuler ce peuple paysan comme une classe ouvrière. Les maîtriser serait bien difficile. Pour Trotski, l’espoir reposait sur le fait que le soulèvement russe aurait un effet boule de neige dans les pays voisins. Trotski imaginait des prolétariats nombreux qui viendraient ensuite soutenir le prolétariat russe contre sa paysannerie. Cela ne pouvait totalement se produire. La Révolution communiste n’eut lieu qu’en Russie et s’y est maintenue.
Dés après la Révolution, le despotisme, tant redouté par les Mencheviks, s’installe. Le parti croit représenter parfaitement le peuple. Dés qu’une critique apparaît, on pense que c’est une critique bourgeoise, même si elle vient du peuple. En conséquence, les critiques sont étouffées. Dés les premiers jours, c’est ce qu’il s’est passé. Lénine et Trotski s’étaient installés dans la Smolny, quand la Révolution eut lieu. Immédiatement, il a fallut réprimer le peuple. Pour Jelen, dans son ouvrage L’aveuglement, il semble que le peuple russe se soit alors révèlé Menchevik, donc opposé à Lénine. Les ouvriers étaient trade-unionistes comme Lénine le craignait, il a donc réprimé les agitations en prétextant un contexte de guerre. Une propagande mensongère eut lieu immédiatement pour masquer la répression. Plus que la bourgeoisie, on réprimait le peuple avant tout. Il a fallut 10 ans pour écraser les agitations et instaurer une dictature sans faille. Toutes ces révoltes ont témoigné du fossé énorme qui séparait le peuple du parti. Ainsi lors de la Révolte des marins de Kronstadt ??? Ce que veut faire Lénine n’est pas de garder le pouvoir pour une famille et une tradition comme l’ancien tsar Nicolas II, mais le conserver au nom d’une idéologie, transformer la société en communauté. Il faut transformer les gens en profondeur.
Jelen note que trois jours après le coup d’État du 7 novembre 1917, la liberté de la presse est abolie. Ensuite, on règlemente le commerce des machines à écrire. Viennent ensuite le contrôle directe et total sur les ouvriers (carnet ouvrier où tout est écrit sur le profil de l’ouvrier et qu’ils doivent tous avoir sur eux), des lois scolaires imposant les programmes, des lois économiques qui suppriment tout ce qui est privé des terres aux entreprises en passant par les petits commerces, … En l’espace de deux ans, on avait éradiqué tout cela. Ces mesures devaient aider la population mais celle-ci refusait de participer à ce système. Le Gouvernement a donc du réprimer par la police et l’armée contre la bourgeoisie d’une part et contre le prolétariat d’autre part. Très vite, la répression policière a réprimé tout le monde. On éliminait les ennemis du peuple non pour les tuer, mais pour les rééduquer. C’est là qu’on voit les camps apparaître, avec pour but de régénérer les adversaires. Ainsi, le 7 décembre 1917, on crée une police politique, une police qui s’attaque aux ennemis du pouvoir, non à ceux qui enfreignent la loi comme la plupart des polices. Cette première police politique est prénommée la TCHEKA (Commission extraordinaire pour combattre la contre-révolution et le sabotage), elle dispose de droits arbitraires pour façonner la société nouvelle en distinguant et séparant les bons citoyens des mauvais citoyens. Le 5 décembre 1918, les premiers camps sont ouverts.  On est dans un système qui imagine qu’il y a dans la société un bien et un mal, un groupe d’individus bons et des autres groupes d’individus mauvais. Les quatre premières années, la TCHEKA a exécuté 140 000 personnes et ouverts 142 camps de concentration. Au même moment, la pensée idéologique se resserrait dans les mains du parti. Dés qu’une pensée autre apparaissait, elle était annihilée : plus de syndicats, leurs dirigeants (souvent Mencheviks) sont tués, groupes idéologiques dissous, les grévistes sont devenus saboteurs, … C’est le même processus pour les religions qui tombent dans le fanatisme.  On rééduque les gens car Lénine pense qu’on peut arriver à une société merveilleuse où les gens obtiendraient ce qu’ils veulent selon leur besoin. Ce n’est pas de la cruauté gratuite, la Terreur a une vertu thérapeutique qui vise à anéantir l’ancienne société, tout du moins au début. Au final, cela pousse au pouvoir les gens cyniques plus que les idéalistes. On a longtemps crut que la Terreur d’État était le fruit de Staline, or cela était contenu dans la théorie de Lénine avant même son arrivée au pouvoir.

L’organisation du travail sous le capitalisme était orientée autour du profit. Chacun gagne selon son temps de travail et selon son mérite. Dans une entreprise capitaliste, l’ouvrier sera nourrit selon son mérite. La théorie soviétique et communiste veut que l’on partage et qu’on ne soit pas rémunéré au mérite mais au besoin, comme dans une famille. Le problème c’est que les individus savent qu’ils travaillent pour le bien commun plus que pour eux. Pour Lénine, cet objectif du bien commun va les booster. Pas pour Trotski qui pense que si on le nourrit, l’homme n’agira pas beaucoup et serait paresseux par nature. En conséquence, Trotski estime qu’il faut obliger les gens à travailler en les faisant pointer et en créant des sanctions pour ceux qui ne travaillent pas. Les Mencheviks avaient déjà annoncé que le travail servile était improductif, que le travail uniquement pour éviter la sanction ne mènerait pas bien loin. Pour Trotski, le travail libre était toujours plus productif que le travail servile mais que s’il fallait le débuter, alors, il fallait prévoir des sanctions. Trotski fixe donc ces sanctions pour non-travail, pour sabotage. En cela, chez Trotski aussi on a une forme de Terreur puisque l’ouvrier est subordonné à l’État qui agit pour l’ouvrier. En revanche, pour Lénine et Trotski, la Terreur est acceptée puisqu’elle est légitimée par la grandeur des fins, parce qu’elle ne doit être que temporaire. C’est une forme de rédemption purificatrice.

Lorsque la Révolution de 1917 eut lieu, la Russie entamait un timide processus vers un libéralisme politique. Il y avait un parti politique libéral appelé le parti des Cadets qui aurait finit par s’implanter sur le long terme. Certaines élections avaient été promises par Nicolas II et avait eut lieu. La Douma ne fut pas révolutionnaire mais orientée du coté des cadets. Lénine y a envoyé des troupes et sous la menace des armes a dissout cette Douma, puis empêcha toutes réélections. Les entreprises furent toute monopolisées par le parti qui nomma de nouveaux patrons. La Révolution ne pouvait fonctionner que si toutes les entreprises étaient sous les mains du parti.
Lénine pensait que la politique de Terreur devait empêcher de retomber dans une situation libérale et donc dans une société avec une bourgeoisie. Cependant, une fois une partie de la bourgeoisie éradiquée, des membres de la classe ouvrière prenait leur place et leur mentalité. La bourgeoisie renaissait d’elle-même. De plus, la terreur n’assurait pas la production. Même si les ouvriers étaient contraints de travailler, la production baissait car les ouvriers travaillaient le moins possible. Or le régime ne pouvait fonctionner sans production et Lénine qui était lucide a compris que le système faisait chuter la production. Il aurait pu ne rien faire mais finalement, Lénine décida, par lucidité mais aussi parce que de nombreux croyaient en l’URSS, de changer son fusil d’épaule. Il voulait éviter les situations catastrophiques qui lui tombaient dessus : chute de moitié des récoltes de céréales en 8 ans de Révolution, 80% de chute de la production industrielle en 4 ans (1917 – 1921), … Le coup de massue vient des marins de Kronstadt qui eut un énorme retentissement dans la population russe.
Lénine décide alors de faire un virage politique. Il veut redresser la production en allant dans un sens libéral. Pour le justifier, il parle de communisme de guerre, un changement de cap du aux circonstances qui ne s’éternisera pas. On a donc une économie libérale dans un régime communiste qui doit enrichir le pays pour qu’ensuite celui-ci reprenne une économie communiste. Lénine restitue avec prudence le commerce privé, les terres individuelles, … La Nouvelle Economie Politique (NEP) avance vers une politique qu’elle contredit. C’est un enrichissement pour assurer une recollectivisation par la suite. Lénine reconnaît que c’est un calcul, une étape vers le communisme. Certains jugeront que c’est un opportunisme politique qui rend compte de l’idéologie. Les partis communistes implantés dans chaque pays ont longtemps été mécompris par les populations nationales. La NEP révèle du pragmatisme de ces partis, c’est Moscou qui fait volte-face avec un but à long terme (la société communiste) et est prêt à tout pour atteindre ce but, les partis suivent la logique. L’histoire de la NEP en révèle long sur la situation du communisme. On rend certaines terres à leurs propriétaires, on libère les frontières extérieures, … En trois ans, l’économie retrouve son niveau de 1913. L’économie étant dans un système mixte, elle fonctionne mieux que le système uniquement public. Mais à cette époque, la NEP n’a servit à personne, on attendait partout dans le monde extérieur que Lénine revienne au communisme. Personne ne sait si Lénine aurait supprimé la NEP, il est décédé en 1924. Staline qui prend sa succession va alors suivre la NEP.

Lénine rédigeait des notes tous les soirs et un an avant sa mort, il réalise le système qu’il instaure : un système de Terreur digne du tsar qu’il avait fait assassiner. Il écrit que son régime communiste n’est qu’un régime tsariste badigeonné d’un vernis communiste. Trotski de son coté qui voulait détruire les élites bureaucratiques qui naissaient du communisme, se positionnait contre la NEP. Dans son exil, Trotski démontra bien à quel point la NEP est une déception pour les vrais révolutionnaires. A la mort de Lénine, Staline et Trotski se retrouve en concurrence pour le pouvoir. Il n’y a pas de loi de succession comme sous le régime tsariste, du coup, tous les moyens sont permis. Ainsi, dés le décès de Lénine, il y a un jeu de pouvoir qui s’appuie sur deux puissances : l’armée et le comité central du parti.

Staline a fait des études au séminaire, d’origine modeste, il n’est pas un intellectuel et a une culture plutôt simple et grossière. Il est loin d’être imbécile mais reste grossier et brutal. Lénine dans son testament souhaitait écarter Staline du pouvoir qu’il jugeait trop brutal, ce qui était incompatible avec la fonction de Secrétaire Général du Parti Communiste.
Sa politique est celle d’un marxisme-léninisme adulte avec un chef qui ne s’arrête pas en dépit de la monstruosité des actes de son idéologie. L’ère de Staline a commencé par une politique d’héritier, Staline suivait les pas de Lénine. Il a donc maintenu la NEP car cela marchait, Trotski de son coté regarde de manière désabusée ce qu’il se produisait, voyant un retour en arrière, un échec révolutionnaire. Le libéralisme économique produit alors l’inégalité sociale que le communisme combattait. La bourgeoisie rurale renaît en la personne du koulak. Ces koulaks deviennent rapidement des contrepoids du parti et les membres communistes sont effrayés.

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