Fut une époque, Athènes ne connaissait pas la crise et Athènes était glorieuse.
Derrière
l’approche réaliste, il y a une conception de l’humanité comme excellence. Ce n’est
pas une conception cynique et désenchantée mais davantage humaine. Chez Thucydide, il existe fondamentalement
des différences dans les positions à l’échelle internationale. Il y aurait
une inconséquence des Méliens de ne pas s’engager dans la conversation avec les
Athéniens car cela serait une erreur pour le peuple de Mélos qui, sans
discussion, serait massacré. Les Méliens
dénoncent un débat tronqué puisque Athènes est trop forte par rapport à Mélos. Mais
cette opinion est naïve, tout débat à l’international entre dans un jeu de
force.
L’attitude des Athéniens
révèle du sophisme, un courant qui privilégie le champ des possibles à la morale, à l’idéal ou encore au droit et à la justice. Le possible pour les Athéniens c’est l’action
des plus forts et aussi l’acceptation des plus faibles. Cette acceptation
est ce qu’il y a de moins dommageable selon les Athéniens.
Dans
un dialogue de Platon, Socrate qui se demande philosophiquement qu’est ce que
le bien et la justice, est interrompu par un personnage sophiste, Thrasymaque. Le sophiste est un bon orateur qui ne
cherche pas la vérité mais qui utilise le langage à des fins théoriques. En
utilisant le logos, le sophiste veut atteindre
ses intérêts propres, non la vérité. Ainsi les Sophistes pensent qu’il n’existe
que des rapports politiques fondés sur la force. Le Politique se caractérise
essentiellement par une lutte pour l’obtention du pouvoir. Celui qui exerce l’autorité
légitime c’est le plus fort. Mais cela est troublant dans de nombreuses
situations : le III° Reich était le plus puissant, donc selon un sophiste
sa victoire était légitime. On a là une position cynique dés l’instant où le
plus se maintient dans son territoire. Pour
un sophiste, il n’y a pas de droit naturel, juste un rapport de position.
Ils sont les premiers à dire qu’il n’est pas nécessaire de se tourner vers la
nature, mais vers le nomos, le
produit de la volonté des hommes.
Pourtant cette
analyse sophiste n’est que le premier niveau d’interprétation du discours des
Athéniens. Les Méliens expliquent que le politique ne doit pas l’emporter sur
le Moral. Pour les Méliens, le meilleur moyen de construire une domination c’est
de ne pas contraindre. En
effet, en contraignant les peuples, les Athéniens fondent un ordre instable et
risquent l’échec. Seule l’acceptation permet une certaine stabilité.
C’est à cet
argument des Méliens que les Athéniens s’opposent. Pour eux, le débat en cours
est justement la volonté d’éviter une contrainte pour une acceptation plus
simple. Les
Athéniens estiment qu’il y a un commun intérêt dans cette situation de rapport
de force, qu’on peut établir par le
rapport de force une certaine coopération.
Pour
les Méliens, refuser de coopérer n’est pas irrationnel pour le peuple de Mélos,
c’est avant tout sauvegarder les intérêts du peuple. Pour eux, les deux appuis
principaux sont d’abord l’espoir qu’il existe des grandes valeurs morales
définies par les Dieux qui les protégeront et ensuite que Sparte les soutiendra
en cas d’attaque athénienne.
Les Athéniens
rejettent cela en soulignant la fragilité d’une intervention divine puisque
pour les dieux, toutes les Cités peuvent également prétendre à une protection
par les dieux. C’est là que les Athéniens ressortent leur loi de nature, qui explique
que même les plus faibles s’ils étaient en situation de force agirait à l’instar
d’Athènes.
En
quoi cette doctrine stratégique a quelque chose qui peut relever de l’excellence
alors que les Athéniens ne cessent de considérer que la morale n’est pas
satisfaisante ?
(pages
326 - 327) En maintenant les individus
dans une forte crainte, on forme un ciment pour l’autorité. A ce moment là, la
violence peut être féconde et utile. La véritable intelligence en relations
internationales c’est d’user de violence avec parcimonie. Une préfiguration
de la théorie de Machiavel nait ici. La position athénienne n’est pas innée. En
cherchant la véritable autorité, Diodote met en évidence l’utilité de la violence
et de la peine de mort. Après avoir reconnue
que la nature humaine est intéressée et égoïste, il souligne que le respect est
la meilleure solution pour obtenir de quelqu’un ce que l’on souhaite. Cette
technique de domination est la seule qui soit optimale. Si vous maintenez un État
ou une cité telle qu’elle existe, on peut maximiser les ressources qu’elle nous
fournira par la suite, en revanche en pratiquant la politique de la terre
brulée, cela vous sera beaucoup plus couteux et dommageable. Si on cherche à garantir un pouvoir en s’appuyant
uniquement de manière réaliste sur le champ des possibles, alors on doit
construire notre domination sur autre chose que le rapport de force, il faut
donc s’appuyer sur la liberté des peuples et des individus. Cléon conteste et dit qu’on encourage là, la
défection des peuples. Diodote pour sa part pense que la contrainte va
jeter de l’huile sur le feu et va nourrir les révoltes. On voit alors que chez
les Athéniens, la véritable intelligence et sagesse stratégique est celle qui
sait utiliser la violence quand il faut et la paix quand il le faut aussi.
Léo
Strauss est un
philosophe allemand qui a émigré aux USA pour éviter la répression nazie. Il a
formé une école aux USA qui a accouché de l’essentiel des conseillers des
Présidents américains depuis Bush père à son fils. Le néoconservatisme
américain a trouvé ses origines dans ce courant. Strauss est un grand
représentant d’une pensée conservatrice et élitiste. Selon lui, il existe une excellence humaine qu’on trouve chez les
grands hommes politique qui sont non seulement cyniques mais surtout très
intelligents.
Selon Strauss, les
Athéniens s’engagent avec les Méliens dans la mesure du raisonnable. Mais ils
se distinguent des Spartiates, qui privilégient les attitudes utiles et
intéressées alors que les Athéniens dans leur attitude impériale feraient
preuve de justice et de dignité.
Même si dans Thucydide, les Athéniens se méfient de cet honneur, selon Strauss
c’est leur manière de faire. En effet, ce débat avec Mélos s’achève sur un
refus de la Cité faible, face à ce refus les Athéniens ont ravagé la cité. Mais
ce n’est pas la politique ni la stratégie des ambassadeurs athéniens de
détruire Mélos, c’est une décision guerrière et soudaine. C’est noble et généreux de détruire Mélos après avoir discuté avec
elle, car c’est audacieux et sans recherche de profit derrière. C’est surtout
noble parce que les Athéniens décident d’agir face à l’imprévisible, en
affrontant l’incertitude au risque de tout perdre. En cela, par cette prise
de risque de tout perdre, les Athéniens ont une forme d’excellence qui les
amènerait à l’immortalité.
Dans La condition de l’homme moderne, Hannah Arendt illustre avec Thucydide, l’action
qui est le propre de la politique. L’action chez Arendt se distingue de la
conduite. La conduite pour sa part, c’est quand on appréhende la pratique
politique en privilégiant les motifs et les intentions. Cette approche morale
de la pratique n’est pas la bonne approche selon Arendt. L’action est quelque
chose d’extérieur qui apparaît s’extériorise et se traduit par un acte réel
susceptible d’illustrer la grandeur ou l’excellence. Dans cet ouvrage Arendt utilise
le terme d’action que lorsque les individus franchissent les bornes autorisées.
Tous ceux qui n’agissent que d’une manière prévisible sont des êtres creux qui
ne font jamais preuve d’inventivité, il leur manque l’originalité. C’est dans
Thucydide qu’on rompt la norme de l’époque, puisqu’il souligne la grandeur
athénienne, Cité qui devient immortelle tant par ses actes bons que par ses
actes mauvais.
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