samedi 10 novembre 2012

Grandes puissances 09 - 11 (cours 11, fin)


 Kant




Le droit international s’impose come cadre de référence sous les auspices d’un certain nombre de penseurs ayant inspiré ces tendances. Ils synthétisent bien la manière dont on peut encadrer la vie internationale. Kant est très critique vis-à-vis  de la politique internationale du XVIII° siècle, la théorie où l’un réagit et son opposé réagit à la réaction. Cela va dans l’intérêt de l’Angleterre puisque ces réactions n’ont pour but que de s’équilibrer et qu’en Europe. Pour Kant, il faudrait que la morale humanitaire règle les relations, mais cela veut dire qu’on ne s’adresse à ses amis que dans une fin, non comme un moyen, on leur parlerait peu. C’est avant tout une intériorisation de formes de civilité comme le dit Norbert Elias dans La civilisation des mœurs, ce schéma devrait prendre place aussi sur la scène internationale. Il faut un cadre extérieur de relatives contraintes, un cadre juridique. Cette contrainte potentielle vient donc du droit et s’applique dans les cadres nationaux. Sur la scène internationale, les relations de force dominent encore largement. Ainsi dans son Projet de paix perpétuelle, Kant voit des conditions possibles pour établir la paix. Trois conditions simples existent. La première des conditions pour l’espérance d’une paix est que tous les États de la scène internationale doivent avoir une constitution civile républicaine. En effet, cette constitution doit avoir un système représentatif de tous les citoyens. Il ne parle pas de démocratie car au XVIII° siècle, le terme est peu employé. Dans cette constitution, l’assentiment des citoyens est donc exigé pour décider si oui ou non il y aura guerre, et « ceux-ci réfléchissent murement avant d’entreprendre un jeu aussi pernicieux ». La deuxième condition concerne le droit des gens qui doit former un fédéralisme d’États libres. Ce qu’il entend par là, c’est une alliance plus ou moins lache entre les États mais alliance tout de même qui pourrait, si les conditions sont favorables, être une alliance contre la guerre. Enfin, ultime clause de Kant, le droit cosmopolitique. Cette clause dérive du fait que « les relations plus ou moins étroites ou larges », les violations des droits dans les relations se ressentent tendanciellement dans d’autres endroits du monde. Ce droit qui protège tout homme en tant qu’homme, ce qu’on qualifierait aujourd’hui de droit humanitaire ou droit de l’homme et que Kant appelle droit cosmopolitique. Dans la pratique Kant limite de croit cosmopolitique à des conditions d’hospitalité universelle. C’est le droit de tout l’étranger lorsqu’il arrive sur le territoire d’autrui, de ne pas être traité en ennemi. Cet idéalisme de Kant est teinté de réalisme puisqu’il réduit son droit cosmopolitique à cet aspect dans la mise en pratique.
Finalement le règne du droit, condition de la paix universelle est moralement désirable et donc moralement nécessaire. Ce progrès de la civilisation passe pour Kant par un progrès de la République dans les États, un progrès de la communication (si un droit violé est ressenti ailleurs de par le monde) et aussi un progrès du commerce entre les États. Pour Kant la ressemblance républicaine entre les États est nécessaire pour débuter le processus. Kant se situe quand même dans une perspective transnationaliste. Dans le néoréalisme, réalisme structural, qui s’intéresse aux relations structurelles entre États, on s’oppose à l’idéalisme de certains internationalistes.
Le coté réaliste de Kant dans ces trois conditions transparait quand il réfléchit à ce qu’il doit faire des tendances agressives de la société. Il se dit alors que les hommes doivent se battre pour la République, ainsi activer l’insociable sociabilité de l’homme. En introduisant cette agressivité de l’homme, il nous fait comprendre qu’on n’atteindra jamais la paix universelle sinon qu’on y tendra. En effet, pour ne pas faire du machiavélisme, il ne faut pas se contenter du constat de la réalité. Du coup, Kant théorise sur la paix et non la réalité (ce qui en fait un utopiste) tout en insérant cette notion réaliste d’insociable sociabilité.
Leo Strauss déclare pour sa part que le projet de paix perpétuelle étant utopique, on est davantage dans une réalité de guerre perpétuelle. Dans la plupart des cas réels, l’engagement des États vers la paix ce sont des engagements intéressés. On va chercher à garantir nos jouissances (notre approvisionnement en pétrole) par des intérêts moraux parfois.

Dans notre tendance actuelle, on estime qu’on peut faire entrer l’humanité dans une conversion morale dont Kant connaît les limites. On est donc partagé entre le fait de respecter le droit des institutions internationales comme l’ONU, tout en réclamant une moralisation de la vie internationale. Cela pose parfois des problèmes, la conscience humanitaire par exemple a intrinsèquement dans sa pensée un refus de la guerre. Or beaucoup d’humanitaires de renom ont demandé au Congo l’intervention de l’OTAN pour calmer le jeu au travers d’une guerre. Il leur fallait donc une justification pour leur position. Bernard Kouchner et Mario Bettati avaient organisé un colloque sur le devoir d‘ingérence, soit une position purement morale. Ils sont donc allés voir le Président Mitterrand pour une action, qui les a gentiment remerciés car la vision n’était pas réaliste du tout. Comme l’utopie de Kouchner se heurtait au réalisme de Mitterrand, ils vont tout les deux chercher une solution intermédiaire en réfléchissant sur cette notion de droit d’ingérence. L’utopie morale de Kouchner n’était pas traduisible en politique. Il y a un problème de pratique réglé par ce droit d’ingérence. Le résultat est que la morale pure de la conviction exprimée dans le devoir d’ingérence n’est pas passée dans le droit. Le droit est une structure nécessaire pour pouvoir penser l’action qu’on va faire. Si le droit intègre un peu de morale, il n’en est pas le décalque pur. On n’intervient pas uniquement pour des questions morales.
Aujourd’hui, on a la mise en place de polices internationales. En 1999, on a décidé d’intervenir en Serbie sans déclarer la guerre, on l’a donc bombardé. N’est ce pas une erreur grave de faire une guerre à Milosevic sans la lui déclarer officiellement ? Nous avons donc menti tant à Milosevic qu’à nous-mêmes sur ce que nous avons fait. La conscience morale ou humanitaire à la source de cette intervention fut clairement affichée. Cependant les acteurs de l’OTAN se plaçant dans cette posture morale, ont donc pris la position de gardiens de la vertu morale (combattants de la justice et du droit), supposant par là que les alliés Albanais menaient le bon combat au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Symétriquement, l’adversaire ou l’ennemi devait apparaître comme un pur et simple criminel. La posture morale est tellement pure qu’elle efface les nuances de la situation concrète. On en vient à criminaliser un ennemi qui n’est pas politiquement reconnu en dépit de son élection par sa population. On se refuse donc souvent à déclarer la guerre ce qui peut malgré tout aboutir à des situations où la morale même qui refuse d’admettre sa situation de guerre peut aboutir à des résultats qui en fait sont des situations de guerre. Il y a donc des ambiguités dans le droit tel qu’il est déterminé. Ce droit hésite entre la défense en œuvre pour une situation morale, ou sa défense en termes de compromis. Il y a une tension dans le droit international actuel entre les premières expressions internationalisées sous la plume de Kant.
L’intervention des USA en Irak en 2003, se fit dans une justification immédiate et très médiatisée, celle d’une alliance entre Saddam Hussein et Al Qaïda ainsi que le fait qu’il détenait des armes de destruction massive. L’intervention dans un cadre plus ample était la démocratisation de l’Orient. Cette guerre justifiée par la démocratisation est dans la logique de la morale la plus pure. Wolfowitz, secrétaire de Rumsfeld, ministre de la défense américain, met en œuvre ces justifications morales et ne garde donc que ces deux arguments comme principaux. On a donc construit des arguments réalistes mis en œuvre pour intervenir en Irak, pour convaincre les alliés européens très réalistes. Le fond utopique de l’affaire était alors encore très réaliste, les Américains pour respecter le droit international ont rendu cette utopie plus réaliste.

Ce droit international peut tout de même être contourné de manière discrète mais complète. Le lendemain du 11 septembre 2001, il s’est agit de repérer les flux et dépôts financiers qui avaient un rapport avec les réseaux terroristes internationaux. Or l’un des pays ayant un des fonds financiers les plus importants mais non déclarés, c’était la Suisse. A partir du 12 septembre et durant plusieurs jours, les opérations financières suisses furent complètement arrêtées par les USA, la France et le Royaume-Uni. En effet, les trois pays en coalition sont venus consulter les fonds financiers les plus douteux pour se préparer. Dans ces cadres, les trois États sont venus violer la souveraineté d’un pays.

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