Uribe versus Chavez
Introduction
Fin
des années 1990 et début des années 2000, Colombie et Venezuela
ont vu arriver à leur pouvoir deux présidents en antagonismes profonds : Hugo Chavez au Venezuela et Álvaro Uribe en Colombie. Les deux pays ont été au
bord de la guerre en 2008 tant leurs
cultures politiques révèlent les tendances extrêmes en Amérique du Sud. Il y a une bipartition des
systèmes politiques en Amérique du Sud entre les alliés de Chavez et ceux plus
modérés. Il y a un certain nombre
d’analystes qui ont souhaité distinguer deux gauches : la démocratique,
plus modérée, qui était incarnée par le Président Lula
et sa successeur Dilma Rousseff et une
gauche plus agressive ou révolutionnaire qui se veut être incarnée en Chavez, Ortega (Président du Nicaragua), Morales (Président de Bolivie) ou encore
partiellement de Cristina de Kirchner
(Présidente d’Argentine). Ces deux courants dominent dans les interprétations
des spécialistes d’Amérique du Sud.
La droite en
Amérique du Sud
(Calveron au Mexique, Uribe en Colombie, Piñera
au Chili, …) est assez modérée et proche
de la gauche démocratique.
Récemment, une
montée en intensité très forte eut lieu entre Bogota et Caracas. Une anecdote significative eut
lieu en mars 2008, les Président Chavez a
ordonné à plusieurs bataillons de chars de se rendre à la frontière du
Venezuela avec la Colombie. Le risque de guerre n’était pas du tout immédiat,
mais des petites percées vénézuéliennes aurait été dramatique pour la
population locale frontalière. Tout un système politique fut alors en jeu.
Lorsqu’un président donne un ordre, cet ordre n’est pas toujours suivi,
d’autant qu’il y a des problèmes de corruption dans l’armée du Venezuela où
Chavez a mis des généraux corrompu qui seront prêts à abandonner leur poste
plutôt que de risquer la guerre. Enfin, en Amérique Latine, la place de la
parole joue un rôle important, elle est pouvoir et on revient rarement sur sa
parole, on tente de la monopoliser dans les débats aussi.
Ces rapports
polémogènes entre Chavez et Uribe durent depuis longtemps. Arrivé au pouvoir en février 1999,
Chavez commença par déclarer qu’il était neutre dans le conflit colombien
voisin entre l’armée étatique et les FARC (Forces Armées Révolutionnaires
de Colombie) des marxistes-léninistes qui se revendiquent aussi de Bólivar,
tout du moins à l’origine de la création des FARC. L’hispano-Amérique du XIX°
et du XX° siècle a connu des guerres d’indépendance contre l’Espagne mais aussi
des guerres civiles. En effet, les Espagnols nés en Amérique du Sud (les
Créoles) se sont divisés entre les tenants d’une Espagne qui dirigerait des
colonies et ceux qui souhaitaient l’indépendance de la colonie. En déclarant sa neutralité dans ce conflit,
Chavez se montrait peu diplomate surtout qu’il avait des liens avec les FARC.
De plus, en Colombie, quand le Président est arrivé, il a tenté de négocier
avec les FARC. Entre 1998 et 2002, L’État colombien a donc cherché la
négociation avec les FARC dés les années 1970, au travers du Président
Pastrama, sans succès. Uribe à sa suite préféra une répression sévère des FARC,
sans négociation. Cette guerre va créer une alliance étroite entre la Colombie
et les USA. Ainsi en 2010, Chavez s’implique dans les élections colombiennes en
déclarant qu’il ferait tout ce qui est nécessaire pour que le message
révolutionnaire soit propagé en Colombie. Inévitablement, le style direct et
peu diplomatique de la présidence d’Uribe fut de tendre davantage les
relations.
Le personnage
central dans la vie politique du Venezuela et de la Colombie est Simon Bólivar. La culture politique prédominante
sous Chavez au Venezuela est celle d’un monothéisme politique, contrairement au
polythéisme politique de Colombie. Au Venezuela on a une obsession bolivarienne
depuis un siècle
qui a tout de même subit une transformation historique au fil du temps. En Colombie en revanche, on a certes cette
figure de Bólivar mais aussi celles de Santander
et Nariño, deux autres grands hommes de
l’indépendance de l’Amérique du Sud. Francisco Paolo de Santander était
aussi un général qui a mis les armes au placard en devenant vice-président de
Bólivar et en s’occupant des lois et du financement des politiques de son ami.
Nariño pour sa part est le représentant des droits de l’homme en Amérique du
Sud. Ainsi au Venezuela on se limite à Bólivar et en Colombie, on lui accole
ces deux autres figures que sont Santander et Nariño.
L’enjeu reste tout
de même centré autour de la figure de Bólivar, de son rôle symbolique. Né à
Caracas en 1783, Bólivar est décédé par la
suite sur la côte colombienne en 1830. Il est donc mort jeune. Cette
lutte fratricide est d’autant plus forte que jusqu’en 1831, les deux pays n’en
formait qu’un. Bólivar est un homme
cultivé qui maitrisait l’espagnol, l’anglais et le français. Il admire Napoléon
et ce d’autant plus, que Napoléon par l’invasion espagnole a entrainé les
indépendances d’Amérique du Sud. Lors des recherches d’indépendance des pays
d’Amérique du Sud, il déclare la guerre à mort à l’Espagne et il s’illustrera
par ses guerres où il sera très souvent à cheval (on le surnommera culo de hiero, cul d’acier). Il va
rédiger une lettre puis dans les textes suivants faire une critique de la
culture politique hispano-américaine qui consiste à repousser l’application
telle quelle des constitutions libérales car les populations d’Amérique du Sud
ne sont pas prêtes à ces constitutions. Il
est contre ce qu’il nomme des « républiques aériennes », républiques
libérales fragiles car non-ancrées dans la tradition des peuples d’Amérique du
Sud. S’il refuse d’appliquer ces constitutions telles quelles, Bólivar reste un
grand admirateur de l’empire de l’époque, la Grande-Bretagne. Cet empire
est libéral et tout du long de son existence, Bólivar va rédiger plusieurs
constitutions teintées d’une nette anglophilie et inspirées aussi de
Montesquieu. Il a tenté dans ce constitutionalisme militant de rapprocher les
pays hispanico-américains sans les unifier. Il voulait les liguer et sera déçu
de son échec puisque ces nouveaux pays ne parviendront jamais à s’entendre
entre eux. Il verra donc les prémisses de la séparation de la Grande Colombie
entre Colombie, Venezuela et Panama. Jusqu’en
1826, Bólivar est un libéral qui ne voit pas
la possibilité d’appliquer les formules démocratiques aux nouveaux États. Déçu
de ces pays après leur indépendance, il va alors développer des aspects
juridiques et politiques plus dictatoriaux. Il va vouloir établir un
pouvoir moral permanent, une sorte de Sénat héréditaire pour stabiliser les
institutions du pays. Il va aussi, en rédigeant la constitution bolivienne,
tenter d’établir une dictature bien que dans la pratique il aurait tendance à
décentraliser et donc être moins dictatorial que ce qu’il n’écrit. Au final, la fin de sa vie se caractérise
par un désir de centralisation du pouvoir. Cela peut se comprendre car les États
américains de l’époque ont un vide de pouvoir qui fut rempli par une forme
inédite de personnage : les caudillos, des chefs de guerre locaux. Pour Bólivar
c’est un problème énorme, ces localisme armés divisent et fragmentent les pays.
Pour les compenser, il faut une autorité centrale vigoureuse.
A
coté de Bólivar, on trouve en Colombie, Santander, l’homme de la structuration du pays par
les lois. Pour le Venezuela, cet
homme n’existe pas, il est même l’opposé de Bólivar. En effet, historiquement Santander ne veut pas de la
tendance dictatoriale qui se dessine dans les projets de Bólivar et finit par
rompre avec lui.
Pour
le grand journaliste critique colombien Théodolo
Petkoff, que le Venezuela n’attaque pas pour diverses raisons (entre
autres que leurs origines politiques et idéologiques sont communes à lui et à
Chavez), il y a une gauche viable
(sous entendu la gauche démocratique) et
une gauche bourbonienne (sous-entendus la gauche révolutionnaire qui est
pourtant dans un conservatisme permanent selon Petkoff).
Les liens entre ces
deux pays vont déterminer les liens entre les pays d’Amérique du Sud. Seul le
Brésil rompt avec cette position en analysant de manière réaliste les relations
entre États d’autant plus que c’est une puissance montante qui développe une machine
diplomatique impressionnante.
Le mythe et son prophète
La
culture politique au Venezuela
I.
Le culte à Bólivar
Chavez
est né dans un héritage bolivarien mais reste avant tout un militaire qui a
tenté un coup d’État en 1992. Il s’en
sortira et sera élu en 1998 car le président de l’époque l’a
amnistié. A sa sortie de prison il se liera d’amitié avec Fidel Castro et optera en 1998 pour une méthode
pacifique et légale avant de modifier la constitution en 1999 pour faire de la
République du Venezuela, la République Bolivarienne
du Venezuela qui est « irrévocablement
libre et indépendante et fonde son patrimoine moral et ses valeurs de libertés,
d’égalité, de justice et de paix internationale, dans la doctrine de Simon
Bolivar, le libérateur. ». Il y
a clairement une forte mythologie bolivarienne.
Cette mythologie
bolivarienne est née il y a au moins un siècle sur une religion patriotique
avec le rapatriement au Venezuela des cendres du héros. En 1842,
le Président de l’époque, Paez, déclarait
« Les restes vénérés du Grand Bólivar
ont été placé dans ces mains … autel qui recevra les offrandes de notre amour,
de notre vénération, … ». Les
premières traces d’idolâtrie de Bólivar se révèlent vouloir unir la nation et
constituer un peuple soudé. Bólivar est souvent associé au mot « pueblo » (peuple) pour assurer
l’unité de la nation quand les caudillos successifs ont eu tendance à oublier
l’unité de ce peuple. L’Église elle-même
aura des discours sur le « divin Bólivar »,
participant à l’idolâtrie et la construction mythologique de ce personnage. Cet
enthousiasme bolivarien repose sur l’idée centrale qu’il faut faire ou refaire
cette unité de la nation.
Une évolution va se
concrétiser à la fin du XIX° siècle dans les
propos de l’historien CarreraDamas, où l’on
passe du culte d’un peuple, le culte de Bolivar, à un culte pour le peuple. On
a donc un Bolivar qui représente en premier lieu l’unité de la nation dans un
pays très fragmenté.
La transformation du culte du peuple vénézuélien devient le culte pour le
peuple avec l’idée que derrière, le pouvoir central peut solidifier ses
positions.
Le culte le plus
fort de Bolivar se fait sous le règne du caudillo le plus dictatorial de
l’histoire du Venezuela, Juan Vincente Gomez.
Celui-ci va institutionnaliser le culte de Bolivar. Cela ira si loin que lorsque le
chercheur Madariaga étudiera la véracité du
culte de Bolivar, il sera brocardé par l’Académie d’Histoire vénézuélienne qui
va considérer qu’il touche à l’image de Bolivar. L’année suivante, l’Académie
remet un prix à un péruvien qui au contraire vante les valeurs de Bolivar. L’amoncellement d’hommages dépasse même le Venezuela
et touchera d’autres pays du continent. Cela quittera même l’Amérique du Sud
par l’intermédiaire d’un auteur anglais, Carlyle, qui décrit Bolivar comme un
Washington colombien. L’image de Bolivar sera alors reprise en Europe par
divers courants et plus particulièrement par les fascistes qui souligneront
l’aspect militaire de sa carrière. Mussolini
déclarera que les trois personnages historiques symboliques furent César,
Bolivar et Mussolini lui-même. Toutes les traces de libéralisme sont en revanche
passées sous silence, on ne garde que son militarisme et son héroïsme. En revanche, cela va gêner les marxistes de
l’époque puisque Marx a fait un portrait au
vitriol de Bolivar. Dans ce texte Bolivar est un homme velléitaire, qui dépend
de ses subordonnés, qui file devant l’ennemi et qui fut à l’origine de la
prolongation de la guerre d’indépendance de par sa couardise. Pour Marx c’est
un candidat à la dictature et en cela, Marx le hait. En revanche, aujourd’hui
les bolivariens ont effacé cette vision de Marx, mais reprennent des théories
marxistes tout en idolâtrant Bolivar. De même que les communistes n’hésitent
pas à utiliser l’image de Bolivar.
A
partir des années 1980, Bolivar va de nouveau être réinstrumentalisé par
Chavez.
Avec Romulo Betancourt, on va voir la conscience
politique du Venezuela se fissurer dans cette mythologie de Bolivar. Cet homme
apparaît sur la scène sociale en 1928 et
organise la première vraie révolte estudiantine contre le Président alors en
place qui était Gomez. Betancourt incarne la démocratie au Venezuela et même au-delà. Il a
crée un parti social-démocrate prénommé « Action démocratique » auquel s’opposera le Mouvement
Bolivarien Révolutionnaire 200 (MBR200) crée 200 après Bolivar, par Chavez. Chavez n’aura de cesse d’effacer la figure
de Betancourt. Bétancourt fut deux fois au sommet de l’État (1945 – 1947 et
1958 – 1964). Il développe différentes
tendances. D’abord un anti-impérialiste notamment contre les USA, le
Japon, l’URSS et la France, qu’il va manifester dans un nationalisme poussé (nationalisation de terres vénézuéliennes)
et dans une intégration des Amériques celle
en 1948 dans l’OEA. Il va aussi se
placer en opposition directe avec des dictateurs de l’époque et refusera de
discuter avec eux, Trujillo
en République Dominicaine, Castro pour
Cuba, … Certains tenteront de l’assassiner et soutiendront les guérillas vénézuéliennes.
Pour tenter d’endiguer les risques de
dictature du Venezuela même, Betancourt va passer des pactes avec deux autres
partis, le Pacte de Punto Fijo. Ils se mettent d’accord pour poser les
bases d’un régime démocratique et pour que chaque parti alterne à la tête du
pouvoir. Plus encore, ils vont ensemble établir une constitution pour le
Venezuela.
En 2001, est rédigée une charte démocratique inter-américaine.
Sa doctrine est inspirée de la doctrine Betancourt, elle reconnaît que la
démocratie représentative est indispensable pour la stabilité de la région. Or
deux actes du régime bolivarien de 1999
témoignent du rejet de Betancourt par Chavez. D’abord il a effacé le nom de
Betancourt dans un parc
de la capitale puis l’a rebaptisé. Second élément significatif, lors de la ratification de la charte de
2001, le Venezuela est le seul pays qui exprime sa réticence. Cette charte
qui insiste trop lourdement sur la démocratie représentative se voit infliger
des réserves très nettes du représentant du Venezuela. Le représentant préfère
la démocratie participative et déclare que la démocratie représentative est un
mythe élaboré par les grandes puissances durant la Guerre Froide pour combattre
les démocraties populaires, alors qu’historiquement la démocratie
représentative vient du XVIII° siècle. De plus, c’est l’occasion pour le
Venezuela de réaffirmer son lien ténu mais existant avec les démocraties
populaires.
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