Avant
1917, l’idéal révolutionnaire est un idéal pur, on ne
sait pas ce que ça va devenir et donc on le rêve. Cependant, l’idéal en
question accumule des contradictions.
Si certains parlent déjà d’utopisme, remarque assez injuste puisque non
réalisée, la conception ne peut être qu’utopique. C’est à l’Histoire de juger
jusqu’où est allée une utopie. Qu’est ce qui fait croire qu’une prophétie de
l’échec était plus probable qu’une utopie de la réussite ? Le socialisme
pouvait alors tout faire. Il était illégitime de dire qu’il ne valait rien sans
avoir essayé de l’appliquer. Les
socialistes essayèrent de mettre ce projet en application mais s’arrêtèrent
avant qu’il ne dégénère de trop. Mis en place en Russie dans un premier
temps, l’inappropriation de cette idée aura de grandes conséquences sur la
pensée des Socialistes (qui réunissent à l’époque Socialistes et Communistes). L’échec de la Russie fit dire aux
Socialistes que la raison de cet essai infructueux était lié au fait que la
Russie n’était pas prête dans sa culture à recevoir le Socialisme. La
Révolution communiste dans le pays le plus arriéré d’Europe à décupler l’espérance
des Socialistes. Mais la Révolution de Lénine fut la première fois qu’on
supprimait la propriété privée dans un pays pour confier le tout aux citoyens,
on nie la hiérarchie du mérite en retirant le fruit de leurs mérite aux
bourgeois russes. Les Socialistes
européens ne peuvent que se reconnaître dans l’aperçu qu’ils ont du régime de
Lénine. Durant plusieurs décennies les intellectuels Occidentaux reviennent
enchantés de l’URSS, suite aux voyages qu’on leur a organisé.
Pourtant peu à peu
le modèle réel va tomber des mains du modèle théorique. En théorie, on a l’égalité, la
suppression hiérarchique du mérite, le bonheur universel, … Mais en réalité on
aura les camps, la suppression des libertés des individus, la création d’une
Nomenclatura organisée selon leur adhérence au parti, … Les inconvénients du système précédents se rétablissent sous couvert
d’être supprimés. Face à cela, une partie des Socialistes va quand même
continuer à se référer à la théorie soviétique, justifiant sans cesse ce qu’il
se passe dans les pays communistes. L’autre partie va refuser de se calquer sur
le modèle soviétique, préférant plutôt un désir de revenir aux valeurs morales
plutôt qu’à la théorie soviétique, l’inverse des Communistes. Les Socialistes
font passer la valeur morale devant les références du parti. Il y a une
certaine forme de courage à reconnaître les défaillances de la pensée.
Le socialisme de Jaurès et de Bloom
est un socialisme de la pensée de la distance, il juge les modèles au regard de
critères moraux.
Le « Socialisme réel » va devenir un antisocialisme puisqu’il
qualifiera ensuite le Communisme. Le Socialisme libéral devient une théorie qui
n’existe pas en réalité car dans sa pratique elle devient amorale. Tout au long du XX°
siècle, cette pensée garde sa teneur morale, tout en ne prenant pas sens
concrètement. Ce courant de
sécession va conserver très longtemps ses idées fondatrices. Jusqu’en 1984, le Socialisme français reste marxiste, attaché
à la théorie. Ce Socialisme français ne se détache du marxisme que dans son
rapport au Parti Communiste Français (PCF) avec lequel il entretient des
relations houleuses. Le PCF n’a pas de honte à recevoir des fonds de l’URSS
pour survivre ce que les Socialistes n’ont jamais faits. Entre les deux partis sans personnage extérieur, le Socialisme et le Communisme
vont se taper dessus. Hors de ce cadre intimiste, le Socialisme défendra le
Communisme. Le Communisme devient l’épine douloureuse dans la chair du
Socialisme.
Ainsi à l’époque de
Jaurès, celui-ci reste un révolutionnaire en
défendant un régime prolétarien.
Il fonde son projet politique sur la lutte des classes, prône l’éveil de la
conscience des prolétaires et qu’ils sont encore prisonnier de la mentalité
bourgeoise. Il est donc calqué sur la
pensée de Marx avec l’idée d’un prolétariat qui n’a pas conscience de sa
force. A cette époque, la classe ouvrière est encore la classe rédemptrice (mot
religieux réutilisé par les Socialistes). Jaurès écrit « C’est dans le prolétariat que le verbe de la
France se fait chair », phrase éminemment religieuse. Assassiné en 1914,
Jaurès, père du Socialisme français reprochait déjà aux écrits de Marx certains
défauts. Il prouve donc que certains individus s’attachent plus à la morale
qu’à la théorie pure du marxisme. Jaurès annonçait dans ses écrits que son
Socialisme serait « matérialiste
avec Marx et mystique avec Michelet ». Cette contradiction forte sera
finalement dépassée. Selon Marx et son matérialisme, les modes de
production sont les causes pures de la représentation du monde chez les individus.
Jaurès entre en violent désaccord avec
une partie des marxistes puisqu’il estime que les pensées et les idées peuvent
évoluer plus ou moins indépendamment de ces modes de production.
C’est à Bloom que revient l’honneur de rompre avec les
Marxistes durs.
Il juge que « Marx prévaudra sur ses
disciples dégénérés » en 1948,
preuve qu’il croit encore que le Socialisme reste foncièrement attaché à Marx. En 1920,
la rupture définitive entre le Socialisme et le Communisme est entamée. Cette
scission tient déjà au moment de la prise du pouvoir par Lénine (cf
Christian Jelen, L’aveuglement).
La brèche se fait entre les soutiens de
Lénine qui veulent aller jusqu’au bout pour réussir leur Révolution et ceux qui,
plus sceptiques et effrayés, renoncent à ce soutien. Face à la Nomenclatura
naissante dans l’URSS révolutionnaire, à l’écrasement des classes ouvrières, le
divorce est consommé. En 1920, Bloom dans
son discours au congrès de Tours s’en prend aux défenseurs de Lénine. Il
fait ensuite le constat de la catastrophe entrevue par Bakounine
avant lui en dénonçant la dictature que met en place Lénine. Bloom devient un
Menchevik français et remet en cause le Léninisme français. Le Socialisme veut le même objectif que les Communistes, une forme de
Révolution mais sans verser le sang et sans Terreur. Les Socialistes vont alors rester dans le rêve et l’utopie tout au long
du XX° siècle. Pour les Socialistes, rejeter l’exercice de la violence n’est
pas qu’une stratégie de moyens, c’est une volonté morale profonde, un refus de
ce qui est immoral. Les Socialistes pensent que la société nouvelle ne sera
réussit qu’avec l’accord des citoyens, si on les y contraint ce ne sera
plus fructueux. Dés cette année, les relations intellectuelles entre les deux
camps deviennent complexes et tendues. Les Socialistes s’affichent contre les
Communistes en public et se mettent d’accord sur bien des points en coulisses.
C’est un perpétuel jeu d’amour et de haine qui se joue entre ses deux camps
irréconciliables mais inséparables. La volonté de pouvoir des Socialistes est
là mais jusqu’avant 1981, les Socialistes ne
peuvent agir seuls et devront toujours s’arranger avec les Communistes.
Les deux courants
ne peuvent se rejoindre que dans la théorie puisque dans la pratique, les
différences sont trop fortes. Cela devient de plus en plus dur de maintenir un
rapport entre les deux avec l’avancée du Communisme en URSS. D’abord on clame pour la
nécessité, puis on blâme Lénine, ensuite on cherche des causes (histoire de
Russie, soumission naturelle des Russes au despotisme, manque
d’industrialisation, …). Le discours du
Socialisme n’a de cesse de vouloir dissocier la théorie de la pratique. Ce ne
sera que dans les années 1970 que les
expériences communistes se sont multipliées dans le monde et que le bilan est
désastreux pour les Socialistes, la Terreur s’est déroulée partout dans ces
pays. Mais jusqu’en 1989, le Socialisme n’attaquera
pas en public l’URSS jusqu’avant son effondrement. Le pays du Socialisme
réel accumule des armes et le Socialisme lui cherche des excuses. Mieux vaut
faire le jeu du soviétisme que celui du libéralisme avancé selon les
Socialistes. Ils sont pris entre deux feux et qu’il n’y a qu’une alternative
entre le Capitalisme et le marxisme. Jusqu’à la fin du siècle, les Socialistes
restent persuadés que la Terreur des pays communistes vient de la pauvreté,
cela est renforcé par le fait que les Révolutions eurent lieu dans des pays peu
développés (exceptés la Tchéquoslovaquie et Cuba qui prouvent le contraire). Cette terreur totalitaire mit un temps long
avant d’être reliée intrinsèquement à l’idéologie marxiste pour les
Socialistes. Plus elle avance, plus la doctrine socialiste semble entrer dans
une contradiction de ses idées.
Le Socialisme
repose sur la critique marxiste du Capitalisme. Cette critique rejette la
politique économique mais aussi le rejet de transformer la société. Les
Socialistes prônent les libertés réelles et non les libertés formelles : égaliser l’accès à
l’école pour ensuite lire et juger les journaux d’opposition. Le Socialisme va aussi se définir non pas
par rapport, mais contre le Capitalisme du fait de sa forme actuelle. Le socialisme est contre le profit et la
concurrence, deux maîtres mots du Capitalisme, il ne faut plus qu’il puisse
y avoir des gens qui s’enrichissent de manière excessive. Ce Capitalisme
pervers produit de la concurrence entre les hommes et justifie les inégalités,
le socialisme ne peut accepter ces effets pervers réels. Le Capitalisme
favorise les monopoles, le protectionnisme, tend à l’expansion ce qui suscite
la guerre, … Le Capitalisme est antinational, il a servi la politique et la
finance et justifie les conflits armés pour des raisons de finances. La structure de la société capitaliste
repose sur la surproduction et la concurrence internationale qui aboutit à des
guerres entre nations.
Dans l’histoire, on
trouve l’idée des « formes mortes », des croyances qui ne peuvent
survivre. C’est le cas du Capitalisme pour les Socialistes. Selon eux, quand le
Capitalisme tombera, il risque d’entraîner le monde à sa suite dans un immense
déploiement de pauvreté. Le Capitalisme a été un moment de l’histoire qui a été
utile mais qui a fait son temps,
il devait s’effacer par une série de transformations qui contribueraient à le
faire tomber. Fondé sur la propriété privée, le Capitalisme s’est agrandit
jusqu’à arriver à une contradiction puisque la propriété devient collective et
aux mains de quelques uns uniquement. Le
Capitalisme est donc entré en décadence pour les Socialistes et quelqu’un
devait lui porter le coup de grâce. En dépit de son agonie, les Socialistes
redoutaient la chute du Socialisme puisque rien n’assure que la société s’en
remette rapidement. Pour développer cette théorie, le Socialisme s’appuie sur
les prolétaires qui n’ont rien à eux et donc sont prêts à se révolter. Mais cette thèse va être mise à mal par les Trente Glorieuses. Avec cette époque, on a eu une
ouverture de toutes les classes sociales avec un Prolétariat qui devient une
petite bourgeoisie et n’a plus envie de faire la Révolution. Le Prolétaire
de Zola peut très bien vouloir faire la
Révolution, mais le petit bourgeois qui a ses propriétés n’en aura pas envie,
il a trop à perdre. Cela doit transformer radicalement les idéologies
socialistes et communistes : qui peut encore vouloir faire la
Révolution ? Enfin autre souci de l’époque, les moyens de production
quittent les mains du patron, pour celles de ses actionnaires : contre qui
doit-on lutter ? Le Prolétariat a
donc disparu au profit d’un Quart-monde, un tout petit groupe, très pauvre,
essentiellement des exclus qui n’ont pas les moyens de faire la Révolution.
Enfin, les niveaux de vie ont en
apparence l’air de se tasser durant cette époque.
Les Socialistes ont
donc commencé à penser que la Révolution de Marx n’aurait peut être pas lieu.
Dés 1968 avec une crise profonde mais un
maintien du Capitalisme,
preuve qu’il est dur à abattre et qu’il se nourrirait de ses propres
excréments, les Socialistes commencent à douter de cette Révolution. Jean-Claude Michea se demande si hors du Capitalisme,
du Socialisme et du Communisme, il n’y a pas d’autres solutions ?
La propriété
publique des moyens de production et d’échange, telle est le fondement du
Socialisme. La production n’est plus organisée pour le profit de celui qui
travaille mais pour le bien-être de tous. Les socialistes sur ces bases
marxistes vont réclamer la propriété productive des outils pour les besoins et
non les mérites.
Se pose alors la question de savoir comment retirer les propriétés productives
à la classe bourgeoise et surtout à qui donner cela ? Le Léninisme donnait
cela à l’État, mais Jaurès avait prévu que lorsqu’une production est
entièrement étatisée, des lourdeurs en naissent et cela n’arrange pas le
travail. Finalement, les Socialistes
estiment qu’il faut transférer les moyens de production à la communauté toute
entière et pas simplement à l’État. On a alors deux groupes, certains pensent
qu’il faut donner cela à des petits groupes, des sortes de coopératives, tandis
que d’autres, la grande majorité, ont toujours foi en l’État. La certitude
des Socialistes est que si l’on supprime les profits, il y aura plus d’argent
pour payer les salariés. En 1981, le courant croyant en l’État était si
nombreux qu’il a nationalisé de nombreuses entreprises. Mais c’est une
demi-nationalisation qui se fait progressivement. Cela induit une concurrence
entre le secteur public et le secteur privé qui dissone avec la théorie
socialiste où il ne doit pas y avoir de concurrence. Pourtant la concurrence entre
privé et public peut parfois être bénéfique comme dans le cas des écoles publiques
bretonnes. Ces écoles ont cherché à surpasser les écoles privées lorsque
celles-ci sont apparues. Selon la prof, ce sont aujourd’hui les meilleurs lieux
d’enseignement public en France.
L’idée est qu’en
nationalisant pour redistribuer à la population, le Socialisme espérait obtenir
un cercle vertueux qui enrichirait la société. Bien entendu, il y a aussi
derrière, l’idée qu’en nationalisant progressivement on fait entrer dans l’esprit
de la population que le bien commun est un bien ultime. Sur le long terme, le peuple
travaillerait beaucoup pour le bien commun.
On quitterait les traits de caractère humain développés par Trotski : égoïsme
ou paresse. Ces théories socialistes
sont abandonnées dés 1984 avec une marche en
arrière sur les nationalisations. Aujourd’hui le courant social-démocrate de
Hollande à abandonner cette idéologie socialiste. De même, Röpke clamait une libéralisation autant que
possible mais des nationalisations autant que nécessaire. Il n’était ni
pour, ni contre les nationalisations mais faisait selon les circonstances. Nationaliser
quand il faut n’est pas nationaliser systématiquement. On a donc demandé aux
individus de développer leurs efforts dans le cadre d’une ambiance nouvelle au
travail, pour quitter le rapport de domination classique qu’on trouvait dans
les entreprises non-nationalisées.
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