Culture de la guerre ? Culture du pétrole ? Les deux ? Plus encore ?
V.
La conflictualité
est-elle une fatalité régionale ?
Si on prend un
enracinement dans le temps, on constate qu’il y a bien cet enracinement de la
guerre au Moyen-Orient. Plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer.
Selon Bernard Lewis et John
Waterbury, on a l’idée que s’il y a conflit au Moyen-Orient c’est du
fait du conflit démocratique et institutionnel. C’est toujours l’argument
américain (intervention de Bush en Irak, …).
Selon George Corn, le malheur du Moyen-Orient ce sont
les ingérences extérieures, en particulier les USA. Lorsque ces ingérences
cesseront, cela devrait se stabiliser, bien qu’il se demande si finalement il
n’est pas déjà trop tard.
Selon Robert Santucci, les guerres sont liées à des
incompréhensions croissantes, interprétation proche d’Yves Lacoste. Par exemple, il n’y a pas les
mêmes catégories de mots, l’Occident assimile Islamisme et terrorisme, l’Orient
fait la différence. Cela peut expliquer les conflits permanents entre Israël et
Palestine comme sur le débat de la colonisation. La question sémantique peut
jouer.
Enfin
selon ???, il n’y aurait pas de pôle stabilisateur dans cette région. Ni l’Égypte trop agitée, ni
l’Arabie Saoudite trop sunnite, ni l’Iran trop chiite, ni l’Irak trop fragile,
… Seule resterait la Turquie qui était assez distante pour traiter avec tous dans les années 2000. Entretemps, elle s’est
cristallisée contre Israël, entre en compétition avec l’Iran et s’éloigne de
l’Union Européenne.
On peut aussi
souligner les radicalisations rhétoriques et politiques. Depuis 1991, on constate une disparition du
dialogue modérateur de la Guerre Froide. Ce conflit a pacifié la région par ses discours et
les conflits du Moyen-Orient ont toujours eu un nombre de morts limité lors des
guerres. Aujourd’hui, de nouveau les régimes se reconnaissent une légitimité
par la force qu’ils instaurent.
Enfin, la question
de la culture de guerre reste aussi un souci prégnant. De plus, dans les années 1960, cela n’existait pas, mais
aujourd’hui on a vu apparaître géopolitiquement un axe chiite et un axe sunnite
très net et irréconciliable. Enfin l’axe économique et de développement peu
aussi intervenir.
Des Etats toujours en pleine construction.
Des États :
premier cadre de réalité politique
I.
Des mondes
différenciés
Les États dans le
Moyen-Orient sont apparus très tardivement sauf dans un petit nombre de pays. La Turquie est apparue sous
l’Empire Ottoman, l’Égypte a une longue histoire, l’Iran depuis la Perse mais
plus récemment sous le Docteur Mohammad Mossadegh
suivi ensuite de Mohammad Reza Pahlavi, dit le
Shah d’Iran.
La majeure partie
de ces États sont apparus suite à la SDN et à ses mandats (Liban, Arabie Saoudite, …). Ils
sont donc particulièrement récents et apparaissent dans le cadre de régimes
traditionnels marqués par les communautés et la religion. Souvent ces
régimes traditionnels jouent un rôle de légitimation dans l’État.
II.
Des sociétés
confrontées au pluralisme
Il s’agit surtout
d’un pluralisme religieux davantage qu’un pluralisme ethnique. Il y a peu de rapports entre les
populations turques, kurdes, arméniennes et libanaises, pourtant toutes
cohabitent dans la Turquie actuelle.
La mosaïque est
surtout confessionnelle.
Comme dans le cas de l’Afghanistan, cela passe par des ethnies. En revanche en
Irak, il s’agit d’un pluralisme religieux. Saddam
Hussein était sunnite dans un pays où les sunnites ne représentaient
qu’un quart de la population, contre trois quarts de chiites. Ce critère a
aussi joué dans la rapidité de sa chute.
Les minorités
confessionnelles sont marquées par le pluralisme. Les élites sont souvent
issues des minorités.
La place des Coptes en Égypte fut très importante jusqu’à récemment où le Président Mohamed Morsi et son gouvernement tend à
marginaliser les Coptes égyptiens qui fuient vers d’autres pays. Auparavant, Nasser a longuement pris appui sur la communauté
copte.
Il existe ensuite
d’autres pays sans majorité de confession nette. Ainsi le Liban depuis la constitution de 1926 (amendée en 1989
lors des accords de Taëf) préparée essentiellement par des juristes français et
libanais formés à la Sorbonne et dans les universités libanaises, on affirme
dedans qu’on est dans un régime de type confessionnel. Il y a 17 confessions reconnues par la constitution (dont 11
chrétiennes). Mais la confession juive qui existait dans la constitution de
1926 disparaît en 1989
au profit de la confession alaouite. L’influence du voisin syrien a joué dans
ce jeu, même s’il existe toujours de nombreux juifs au Liban. Sunnites et
Maronites fixent alors le compromis constitutionnel : le Président doit
être maronite et le Premier Ministre doit être sunnite, le Président du
Parlement doit être chiite, le ministre de la Défense est souvent Druze, …
On a donc un jeu où certaines
communautés sont privilégiées : en l’occurrence, les Sunnites alors
même que les Chiites sont plus nombreux. La place des Druze est faible
statistiquement mais puissante historiquement (deux grandes familles les
représentent : Arslan et Joumblatt). Du coté chrétien, on trouve les
Maronites (à la création du Liban par Napoléon III), les Grecs Orthodoxes (qui
ont eu un rôle économique important) et les Grecs Catholiques (les Melkites).
Ces 6 grandes confessions ont tous un poids prédéterminé au Parlement.
Avec
le Hezbollah, on a aussi un second mouvement chiite, l’Aman dont le Président
du Parlement (Nabih Berri) en est à la tête.
Les institutions reposant sur la
mosaïque confessionnelle compliquent donc le jeu politique. Ce système reste
fondé sur le couple Sunnite et maronite, tous deux toujours à la tête de l’État.
Or avec la montée en puissance chiite,
aujourd’hui cette confession réclame l’accès au pouvoir. Ainsi la famille
Hariri est une des plus riches et influentes au monde. Rafiq Hariri a gagné beaucoup
d’argent en ??? et a financé des œuvres ainsi que des constructions de
mosquées. Il récupère le poste de ¨Premier Ministre en 1992
et va financer la reconstruction du Liban. Les Saoudiens et la famille syrienne
Assad le soutiennent. Il fait reconstruire les grands axes, les
infrastructures, … Il rénove Beyrouth (au détriment du cœur historique). Bref
ce sunnite a une plus grande influence que les Maronites et cela donne une si
grande influence au Premier Ministre qu’on a une tête bicéphale de l’exécutif. Rafiq
Hariri est assassiné par la famille Assad conjointement avec le Hezbollah le 14 février 2005, alors qu’il n’est plus Premier
Ministre. Il était trop Saoudien, trop libanais aussi. George
Corm a pris sa place ensuite et fut surnommé « l’anti-Hariri »
puisque Corm avait pour objectif de désendetter le pays et de stopper la
logique de privatisation.
Son fils, Sahad Hariri, succède alors à son père et devient
chef de l’alliance du 14 mars, regroupement des forces anti-syriennes, et fut
lui aussi Premier Ministre libanais.
Cette alliance est une nouvelle forme de
compromis confessionnel. Hariri a fait un discours le 14
février 2013 dans lequel il déclare qu’il est partisan de l’État civil,
moderne et rassembleur. Il a un langage d’État laïc alors même que son père
s’appuyait sur le compromis confessionnel. Dénonçant la mainmise du
Hezbollah sur les armes, il lance aussi un signal à Israël en se déclarant prêt
à contraindre le Hezbollah dans une logique qui n’est pas sectaire. Dans cette
même conférence, Mustapha Faras, chiite et fils d’un savant chiite, fut
applaudit après un discours où il voulait aussi un rassemblement des Libanais.
Les logiques
politique jouent avec les logiques confessionnelles mais cherchent aussi à les
briser pour pouvoir agir de manière plus globale à l’échelle du pays. Face à tous ces mouvements qui
prônent une forme de dépassement des conflits religieux, on a le Hezbollah de Hassan Nasrallah et le Courant Patriotique Libre
(CPL) de Michel Aoun qui sont prêts à
s’unir ???.
Le pluralisme
confessionnel est donc net même si les radicalismes tendent à jouer un rôle de
plus en plus important.
III.
Réalités et
dynamiques de développement
Le développement
nécessite une stabilité.
Dès l’instant où l’on est dans des logiques de guerres et d’attentes
récurrentes de paix, le développement n’est guère envisageable. Au sens du développement socio-économique,
le développement joue un rôle particulier avec les États. Ainsi, à plusieurs
moments de leur histoire, les États du Moyen-Orient se sont réclamés d’une
politique et d’une stratégie de développement. Il y a bien un mouvement
développemental de ces pays depuis 1945. Avec
Nasser on voit apparaître de nouvelles élites et de nouvelles classes moyennes
surtout dans l’armée mais toujours dépassant les confessions dans son État
laïc. Cela passe aussi par la politique économique. Nasser a eu une tendance socialiste (nationalisation du canal de
Suez en 1956, …). Les pays pétroliers aussi ont connu ce développement. La famille
Saoud a du réfléchir en moins de deux ans pour déterminer la stratégie
économique à mener suite au choc pétrolier de 1973.
Plusieurs options sont apparues. Le
recyclage des pétrodollars (investir le surplus des pétrodollars, venus du
Nord, dans les banques du Nord qui elles-mêmes les réinvestissent dans les
matières premières du Sud, poussant à la création d’une dette des pays du Sud
qui doivent rembourser les banques) avec un peu de développement direct du pays
est une stratégie spéculative propre à plusieurs pays du Golfe (Arabie
Saoudite, Yémen, …). Seul Dubaï a mené
une stratégie de développement différente, fondée sur une diversification de
l’appareil productif.
L’État
a donc fait des choix de développement, souvent centralisateur avec un
renforcement du militaire, une captation du pouvoir par un clan, ??? On est dans États autoritaires, centralisés
et répressifs. La question est de savoir si par la suite, sous des États
islamiques, les stratégies vont changer … Pour le moment c’est en stand by.
IV.
La difficile
définition de l’État
La réflexion sur la
légitimité d’un pouvoir est toujours difficile à déterminer. Dans le cas du
Moyen-Orient, il y a une double, voire triple logique de légitimité des États.
La première logique est celle de la tradition au sens de la dynastie. L’État
est en référence à une famille ancienne. La seconde logique de légitimité est
l’Islam qui va croissant depuis quelques années. Troisième éventuelle logique,
la démocratie que l’on trouve en référence dans les discours mais pas toujours
positivement.
On peut dire que le
discours résulte de ces trois pôles de légitimité. Tout discours s’appuie sur
ces pôles ou au moins sur l’un d’entre eux. Le populisme est un nouveau facteur
qui entre en jeu dans les années 1940 et qui
déstabilise la légitimité des États. La référence à la Ligue Arabe fut
longtemps une dominante, mais depuis les années
2000 cela tend à s’effacer.
Plus récemment on a
vu l’apparition des États-nations dans cette région du monde. Or le
nationalisme arabe est à la base anti-européen (nationalistes égyptiens ou
nationalistes tunisiens) ou anti-ottoman. On a donc une grille d’analyse européenne
qui est pourtant rejetée. Il y a la
revendication d’une culture arabe qui n’est ni européenne ni turque, et qu’on
analyse souvent au travers du prisme de l’Islam. C’est la notion de Nadine Picaudou, l’Islam-culture, une grille
culturelle qui repose sur cette religion mais s’applique aussi à des
non-musulmans. Par exemple, des chrétiens libanais se revendiquent de
l’Islam-culture, pas de l’Islam.
L’autre problème de
l’État-nation tel que des régimes ont voulu le conserver, c’est que dans ces
pays, on a des sociétés très segmentées, voire très segmentaires. On
n’appartient pas au pays, mais d’abord à son groupe, ainsi qu’à sa confession. Du coup, l’État-nation s’est construit surtout autour d’un groupe
particulier (en Syrie sur les Alaouites, …). Le Moyen-Orient a mis en place
des millets (un découpage administratif) qui sont des groupes dans un espace
précis et qui possèdent des droits particuliers connus puisqu’ils se réfèrent à
la religion du Livre. Dans l’Empire Ottoman, ces minorités reçoivent alors la
dhimma. Pour l’Empire Ottoman, il y a alors eu reconnaissances de ces groupes
fondées sur la religion du Livre. Du coup, dans la durée, cela a permis la
pérennisation de cet empire multinational et multiconfessionnel.
L’État-nation est
donc une nouvelle donne dans le Moyen-Orient, il est perçu comme un État-territoire
c'est-à-dire des frontières mais aussi une politique d’aménagement. Cette
politique d’aménagement est centrale dans ces États (barrage d’Assouan, rénovation
de Beyrouth, …). Ces nouveaux États ont
alors été un peu écartelés entre deux logiques : l’Açabiyya et le Watan.
L’Açabiyya
est une vieille notion reprise par Michel Serrat
et qu’on peut présenter comme un sentiment de solidarité clanique. Si l’on
traduit littéralement, c’est bien un sentiment de solidarité du clan, mais
aussi de solidarité familiale et plus tardivement dans l’Histoire, de
solidarité nationale dans certains cas. Le
Watan se traduit plus par
« nation », or ces régimes politiques laïcs qui tombent s’appuyaient
pour beaucoup sur la Watan. A coté du
Watan, on a vu l’émergence de la Nahda, la renaissance arabe, terme
apparu dès la fin du XIX° siècle. L’idée de
la Nahda, c’est que la langue arabe
décline et que cela s’est accentuée sous l’influence européenne, du coup, il
faut faire progresser la langue qui ne qualifie pas les mots modernes
(infrastructures techniques, termes chimiques, …). La Nahda c’est devenue la
volonté que l’arabisme devienne unificateur et soit l’élément identitaire
derrière lequel on peut parler d’Islam-culture.
On a donc une
double référence dans les régimes politiques pour qualifier ces
tendances : Wataniya (traductible par sentiment
patriotique : base du comportement réel des régimes politiques
« modernes ») et Quawnia (traductible par cercle
panarabe élargi : référence à un citoyen élargi). On est donc placé entre
ces deux références au XX° siècle. Nasser a
parlé du Watan mais a renommé
temporairement l’Égypte, République Arabe Unie (RAU), ce qui vise à regrouper
l’Égypte dans un espace arabe, par le biais du panarabisme. Le nasserisme a abouti à révéler les
contradictions de ce nationalisme arabe entre nation et panarabisme.
Ces contradictions
furent révélées avec une autre notion qui transparaissait dans le monde
arabe : un aspect socialiste. Nasser se disait socialiste, nationaliste,
panarabe, … En
devenant un leader du Tiers-Monde suite à la conférence de Bandung, il se place
sur le plan international tout en refusant de suivre l’URSS ou les USA, mais il
s’alliera tout de même à l’URSS. Le
nationalisme va finalement plutôt être prolongé avec le panarabisme chez ses
successeurs : Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein, … Seul un pays ne va pas dans ce
sens, pays qui devient pivot de la région : l’Arabie Saoudite. Celle-ci
poussée par les USA entre en force dans le jeu géopolitique sans prendre en
compte les notions développées par Nasser. Ici, ce sont les réseaux familiaux
et claniques qui reprennent le dessus. Le premier problème de ces pays
traditionnels est alors de nouveau les minorités (Coptes en Égypte, …).
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