mardi 19 février 2013

Moyen-Orient 15 - 02 (cours 5)

Culture de la guerre ? Culture du pétrole ? Les deux ? Plus encore ?


V.                   La conflictualité est-elle une fatalité régionale ?

Si on prend un enracinement dans le temps, on constate qu’il y a bien cet enracinement de la guerre au Moyen-Orient. Plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer.

Selon Bernard Lewis et John Waterbury, on a l’idée que s’il y a conflit au Moyen-Orient c’est du fait du conflit démocratique et institutionnel. C’est toujours l’argument américain (intervention de Bush en Irak, …).
Selon George Corn, le malheur du Moyen-Orient ce sont les ingérences extérieures, en particulier les USA. Lorsque ces ingérences cesseront, cela devrait se stabiliser, bien qu’il se demande si finalement il n’est pas déjà trop tard.
Selon Robert Santucci, les guerres sont liées à des incompréhensions croissantes, interprétation proche d’Yves Lacoste. Par exemple, il n’y a pas les mêmes catégories de mots, l’Occident assimile Islamisme et terrorisme, l’Orient fait la différence. Cela peut expliquer les conflits permanents entre Israël et Palestine comme sur le débat de la colonisation. La question sémantique peut jouer.
Enfin selon ???, il n’y aurait pas de pôle stabilisateur dans cette région. Ni l’Égypte trop agitée, ni l’Arabie Saoudite trop sunnite, ni l’Iran trop chiite, ni l’Irak trop fragile, … Seule resterait la Turquie qui était assez distante pour traiter avec tous dans les années 2000. Entretemps, elle s’est cristallisée contre Israël, entre en compétition avec l’Iran et s’éloigne de l’Union Européenne.

On peut aussi souligner les radicalisations rhétoriques et politiques. Depuis 1991, on constate une disparition du dialogue modérateur de la Guerre Froide. Ce conflit a pacifié la région par ses discours et les conflits du Moyen-Orient ont toujours eu un nombre de morts limité lors des guerres. Aujourd’hui, de nouveau les régimes se reconnaissent une légitimité par la force qu’ils instaurent.
Enfin, la question de la culture de guerre reste aussi un souci prégnant. De plus, dans les années 1960, cela n’existait pas, mais aujourd’hui on a vu apparaître géopolitiquement un axe chiite et un axe sunnite très net et irréconciliable. Enfin l’axe économique et de développement peu aussi intervenir.



 Des Etats toujours en pleine construction.


Des États : premier cadre de réalité politique


I.                   Des mondes différenciés

Les États dans le Moyen-Orient sont apparus très tardivement sauf dans un petit nombre de pays. La Turquie est apparue sous l’Empire Ottoman, l’Égypte a une longue histoire, l’Iran depuis la Perse mais plus récemment sous le Docteur Mohammad Mossadegh suivi ensuite de Mohammad Reza Pahlavi, dit le Shah d’Iran.
La majeure partie de ces États sont apparus suite à la SDN et à ses mandats (Liban, Arabie Saoudite, …). Ils sont donc particulièrement récents et apparaissent dans le cadre de régimes traditionnels marqués par les communautés et la religion. Souvent ces régimes traditionnels jouent un rôle de légitimation dans l’État.


II.                Des sociétés confrontées au pluralisme
                                                             
Il s’agit surtout d’un pluralisme religieux davantage qu’un pluralisme ethnique. Il y a peu de rapports entre les populations turques, kurdes, arméniennes et libanaises, pourtant toutes cohabitent dans la Turquie actuelle.
La mosaïque est surtout confessionnelle. Comme dans le cas de l’Afghanistan, cela passe par des ethnies. En revanche en Irak, il s’agit d’un pluralisme religieux. Saddam Hussein était sunnite dans un pays où les sunnites ne représentaient qu’un quart de la population, contre trois quarts de chiites. Ce critère a aussi joué dans la rapidité de sa chute.
Les minorités confessionnelles sont marquées par le pluralisme. Les élites sont souvent issues des minorités. La place des Coptes en Égypte fut très importante jusqu’à récemment où le Président Mohamed Morsi et son gouvernement tend à marginaliser les Coptes égyptiens qui fuient vers d’autres pays. Auparavant, Nasser a longuement pris appui sur la communauté copte.

Il existe ensuite d’autres pays sans majorité de confession nette. Ainsi le Liban depuis la constitution de 1926 (amendée en 1989 lors des accords de Taëf) préparée essentiellement par des juristes français et libanais formés à la Sorbonne et dans les universités libanaises, on affirme dedans qu’on est dans un régime de type confessionnel. Il y a 17 confessions reconnues par la constitution (dont 11 chrétiennes). Mais la confession juive qui existait dans la constitution de 1926 disparaît en 1989 au profit de la confession alaouite. L’influence du voisin syrien a joué dans ce jeu, même s’il existe toujours de nombreux juifs au Liban. Sunnites et Maronites fixent alors le compromis constitutionnel : le Président doit être maronite et le Premier Ministre doit être sunnite, le Président du Parlement doit être chiite, le ministre de la Défense est souvent Druze, … On a donc un jeu où certaines communautés sont privilégiées : en l’occurrence, les Sunnites alors même que les Chiites sont plus nombreux. La place des Druze est faible statistiquement mais puissante historiquement (deux grandes familles les représentent : Arslan et Joumblatt). Du coté chrétien, on trouve les Maronites (à la création du Liban par Napoléon III), les Grecs Orthodoxes (qui ont eu un rôle économique important) et les Grecs Catholiques (les Melkites). Ces 6 grandes confessions ont tous un poids prédéterminé au Parlement.
Avec le Hezbollah, on a aussi un second mouvement chiite, l’Aman dont le Président du Parlement (Nabih Berri) en est à la tête. Les institutions reposant sur la mosaïque confessionnelle compliquent donc le jeu politique. Ce système reste fondé sur le couple Sunnite et maronite, tous deux toujours à la tête de l’État. Or avec la montée en puissance chiite, aujourd’hui cette confession réclame l’accès au pouvoir. Ainsi la famille Hariri est une des plus riches et influentes au monde. Rafiq Hariri a gagné beaucoup d’argent en ??? et a financé des œuvres ainsi que des constructions de mosquées. Il récupère le poste de ¨Premier Ministre en 1992 et va financer la reconstruction du Liban. Les Saoudiens et la famille syrienne Assad le soutiennent. Il fait reconstruire les grands axes, les infrastructures, … Il rénove Beyrouth (au détriment du cœur historique). Bref ce sunnite a une plus grande influence que les Maronites et cela donne une si grande influence au Premier Ministre qu’on a une tête bicéphale de l’exécutif. Rafiq Hariri est assassiné par la famille Assad conjointement avec le Hezbollah le 14 février 2005, alors qu’il n’est plus Premier Ministre. Il était trop Saoudien, trop libanais aussi. George Corm a pris sa place ensuite et fut surnommé « l’anti-Hariri » puisque Corm avait pour objectif de désendetter le pays et de stopper la logique de privatisation.
Son fils, Sahad Hariri, succède alors à son père et devient chef de l’alliance du 14 mars, regroupement des forces anti-syriennes, et fut lui aussi Premier Ministre libanais. Cette alliance est une nouvelle forme de compromis confessionnel. Hariri a fait un discours le 14 février 2013 dans lequel il déclare qu’il est partisan de l’État civil, moderne et rassembleur. Il a un langage d’État laïc alors même que son père s’appuyait sur le compromis confessionnel. Dénonçant la mainmise du Hezbollah sur les armes, il lance aussi un signal à Israël en se déclarant prêt à contraindre le Hezbollah dans une logique qui n’est pas sectaire. Dans cette même conférence, Mustapha Faras, chiite et fils d’un savant chiite, fut applaudit après un discours où il voulait aussi un rassemblement des Libanais.

Les logiques politique jouent avec les logiques confessionnelles mais cherchent aussi à les briser pour pouvoir agir de manière plus globale à l’échelle du pays. Face à tous ces mouvements qui prônent une forme de dépassement des conflits religieux, on a le Hezbollah de Hassan Nasrallah et le Courant Patriotique Libre (CPL) de Michel Aoun qui sont prêts à s’unir ???.

Le pluralisme confessionnel est donc net même si les radicalismes tendent à jouer un rôle de plus en plus important.


III.             Réalités et dynamiques de développement

Le développement nécessite une stabilité. Dès l’instant où l’on est dans des logiques de guerres et d’attentes récurrentes de paix, le développement n’est guère envisageable. Au sens du développement socio-économique, le développement joue un rôle particulier avec les États. Ainsi, à plusieurs moments de leur histoire, les États du Moyen-Orient se sont réclamés d’une politique et d’une stratégie de développement. Il y a bien un mouvement développemental de ces pays depuis 1945. Avec Nasser on voit apparaître de nouvelles élites et de nouvelles classes moyennes surtout dans l’armée mais toujours dépassant les confessions dans son État laïc. Cela passe aussi par la politique économique. Nasser a eu une tendance socialiste (nationalisation du canal de Suez en 1956, …). Les pays pétroliers aussi ont connu ce développement. La famille Saoud a du réfléchir en moins de deux ans pour déterminer la stratégie économique à mener suite au choc pétrolier de 1973. Plusieurs options sont apparues. Le recyclage des pétrodollars (investir le surplus des pétrodollars, venus du Nord, dans les banques du Nord qui elles-mêmes les réinvestissent dans les matières premières du Sud, poussant à la création d’une dette des pays du Sud qui doivent rembourser les banques) avec un peu de développement direct du pays est une stratégie spéculative propre à plusieurs pays du Golfe (Arabie Saoudite, Yémen, …). Seul Dubaï a mené une stratégie de développement différente, fondée sur une diversification de l’appareil productif.
L’État a donc fait des choix de développement, souvent centralisateur avec un renforcement du militaire, une captation du pouvoir par un clan, ??? On est dans États autoritaires, centralisés et répressifs. La question est de savoir si par la suite, sous des États islamiques, les stratégies vont changer … Pour le moment c’est en stand by.


IV.              La difficile définition de l’État

La réflexion sur la légitimité d’un pouvoir est toujours difficile à déterminer. Dans le cas du Moyen-Orient, il y a une double, voire triple logique de légitimité des États. La première logique est celle de la tradition au sens de la dynastie. L’État est en référence à une famille ancienne. La seconde logique de légitimité est l’Islam qui va croissant depuis quelques années. Troisième éventuelle logique, la démocratie que l’on trouve en référence dans les discours mais pas toujours positivement.

On peut dire que le discours résulte de ces trois pôles de légitimité. Tout discours s’appuie sur ces pôles ou au moins sur l’un d’entre eux. Le populisme est un nouveau facteur qui entre en jeu dans les années 1940 et qui déstabilise la légitimité des États. La référence à la Ligue Arabe fut longtemps une dominante, mais depuis les années 2000 cela tend à s’effacer.

Plus récemment on a vu l’apparition des États-nations dans cette région du monde. Or le nationalisme arabe est à la base anti-européen (nationalistes égyptiens ou nationalistes tunisiens) ou anti-ottoman. On a donc une grille d’analyse européenne qui est pourtant rejetée. Il y a la revendication d’une culture arabe qui n’est ni européenne ni turque, et qu’on analyse souvent au travers du prisme de l’Islam. C’est la notion de Nadine Picaudou, l’Islam-culture, une grille culturelle qui repose sur cette religion mais s’applique aussi à des non-musulmans. Par exemple, des chrétiens libanais se revendiquent de l’Islam-culture, pas de l’Islam.
L’autre problème de l’État-nation tel que des régimes ont voulu le conserver, c’est que dans ces pays, on a des sociétés très segmentées, voire très segmentaires. On n’appartient pas au pays, mais d’abord à son groupe, ainsi qu’à sa confession. Du coup, l’État-nation s’est construit surtout autour d’un groupe particulier (en Syrie sur les Alaouites, …). Le Moyen-Orient a mis en place des millets (un découpage administratif) qui sont des groupes dans un espace précis et qui possèdent des droits particuliers connus puisqu’ils se réfèrent à la religion du Livre. Dans l’Empire Ottoman, ces minorités reçoivent alors la dhimma. Pour l’Empire Ottoman, il y a alors eu reconnaissances de ces groupes fondées sur la religion du Livre. Du coup, dans la durée, cela a permis la pérennisation de cet empire multinational et multiconfessionnel.
L’État-nation est donc une nouvelle donne dans le Moyen-Orient, il est perçu comme un État-territoire c'est-à-dire des frontières mais aussi une politique d’aménagement. Cette politique d’aménagement est centrale dans ces États (barrage d’Assouan, rénovation de Beyrouth, …). Ces nouveaux États ont alors été un peu écartelés entre deux logiques : l’Açabiyya et le Watan. L’Açabiyya est une vieille notion reprise par Michel Serrat et qu’on peut présenter comme un sentiment de solidarité clanique. Si l’on traduit littéralement, c’est bien un sentiment de solidarité du clan, mais aussi de solidarité familiale et plus tardivement dans l’Histoire, de solidarité nationale dans certains cas. Le Watan se traduit plus par « nation », or ces régimes politiques laïcs qui tombent s’appuyaient pour beaucoup sur la Watan. A coté du Watan, on a vu l’émergence de la Nahda, la renaissance arabe, terme apparu dès la fin du XIX° siècle. L’idée de la Nahda, c’est que la langue arabe décline et que cela s’est accentuée sous l’influence européenne, du coup, il faut faire progresser la langue qui ne qualifie pas les mots modernes (infrastructures techniques, termes chimiques, …). La Nahda c’est devenue la volonté que l’arabisme devienne unificateur et soit l’élément identitaire derrière lequel on peut parler d’Islam-culture.
On a donc une double référence dans les régimes politiques pour qualifier ces tendances : Wataniya (traductible par sentiment patriotique : base du comportement réel des régimes politiques « modernes ») et Quawnia (traductible par cercle panarabe élargi : référence à un citoyen élargi). On est donc placé entre ces deux références au XX° siècle. Nasser a parlé du Watan mais a renommé temporairement l’Égypte, République Arabe Unie (RAU), ce qui vise à regrouper l’Égypte dans un espace arabe, par le biais du panarabisme. Le nasserisme a abouti à révéler les contradictions de ce nationalisme arabe entre nation et panarabisme.
Ces contradictions furent révélées avec une autre notion qui transparaissait dans le monde arabe : un aspect socialiste. Nasser se disait socialiste, nationaliste, panarabe, … En devenant un leader du Tiers-Monde suite à la conférence de Bandung, il se place sur le plan international tout en refusant de suivre l’URSS ou les USA, mais il s’alliera tout de même à l’URSS. Le nationalisme va finalement plutôt être prolongé avec le panarabisme chez ses successeurs : Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein, … Seul un pays ne va pas dans ce sens, pays qui devient pivot de la région : l’Arabie Saoudite. Celle-ci poussée par les USA entre en force dans le jeu géopolitique sans prendre en compte les notions développées par Nasser. Ici, ce sont les réseaux familiaux et claniques qui reprennent le dessus. Le premier problème de ces pays traditionnels est alors de nouveau les minorités (Coptes en Égypte, …).

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