jeudi 7 février 2013

Asie 06 - 02 (cours 4)


Asie = Riz = Economie



3.      La Thaïlande

De nouveau on se retrouve avec une économie riche en ressources naturelles, en particulier de par son économie agricole avec une exportation de riz assez importante. En revanche, la Thaïlande a connu beaucoup de hauts et de bas avec de multiples coups d’Etat. Les deux phénomènes sont liés : une partie des partis sont populistes et agricoles et ont le peuple derrière eux, les autres partis sont élitistes mais minoritaires et doivent toujours se concilier avec les partis populistes pour garder le pouvoir, en général peu de temps. Par contre, l’évolution économique est particulièrement stable étant déconnectée des aléas politiques. Cela est du à une technocratie de l’économie qui mène son cap en dépit des variations politiques.

De nouveau, on trouve le passage d’une stratégie d’ISI pour ensuite être abandonnée au profit d’un libéralisme commercial avec l’orientation à l’exportation. Assez étroitement intégrée dans les circuits commerciaux internationaux. Les produits d’exportation promus furent les produits agricoles avec autosuffisance en riz et par la suite exportation de riz. Graduellement, des efforts seront faits pour diversifier les produits exportés et sera encouragé l’industrie légère qui passera du domaine textile et habillement au secteur électronique (notamment le domaine des disques durs). Dans le secteur automobile la Thaïlande devient la plaque tournante. Elle s’ouvre aux producteurs automobiles, notamment japonais, et ces investisseurs s’y implanteront pour produire les voitures dans ce pays. La stratégie nationaliste de la Malaisie ou de l’Indonésie n’est pas à prendre en compte ici.
Il reste difficile de voir en Thaïlande une véritable stratégie industrielle. Il s’agit d’accueillir des IDE, des entreprises étrangères et la direction de la ligne économique est peu cohérente. Il n’y a pas de plan industriels. Le pays reste complètement ouvert aux IDE, ce sont surtout les Japonais qui en profiteront sans que la Thaïlande fasse quoique ce soit pour les avantager.

On a donc encore des points communs avec les pays précédents, tout en ayant des particularités singulières dont une forte instabilité politique.


La différence majeure entre les deux générations reste sur la question des ressources de départ, particulièrement le cas de la première génération qui a du inventer et être créative. La seconde génération ne s’explique pas seulement par ses ressources naturelles, ce fut un levier bien utilisé mais tout ne repose pas dessus. De plus, la seconde génération n’a pas su organiser correctement son développement industriel même si tout cela reste variable entre les pays. Enfin, les économies de seconde génération furent beaucoup plus dépendantes des IDE que les premières générations (à l’exception de Singapour). Ce dernier critère tend d’ailleurs à remettre en question les notions de « première » et de « seconde » génération. Le critère de différenciation pourrait reposer sur les IDE et on scinderait Asie du Nord-Est (Corée du Sud, Hong-Kong et Taïwan) et Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie, Indonésie et Thaïlande).
En tout cas le vrai point commun c’est la conduite macroéconomique qui est composée de grandes constantes, dés qu’on fouille un peu, les diversités de politiques se révèlent. Autre petit point commun, le pragmatisme des dirigeants dans les économies, quitte à revenir en arrière et abandonner des politiques économiques qui auraient à perte (la voiture proton pouvant être un exemple contestable).
Il n’y a donc pas de modèle clair dans les conduites économiques de ces pays. Les différences restent prégnantes et parler de modèle peut être très contestable.







La crise financière asiatique de 1997 – 1998


Cette crise est intéressante puisqu’elle a déclenché un nouveau débat chez les économistes. Certains y ont vu la fin du miracle asiatique, d’autres préférant dire que la continuité était de rigueur. Toujours est-il que cette crise fut absolument imprévisible. L’Asie était une zone exceptionnelle à laquelle tout réussissait. Du coup, on montrait cette région comme un espace modèle pour d’autres régions en échec économique comme l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Et d’un coup, cette crise touche l’Asie et remet en question ce genre de propos. La crise ne s’est pas jouée du tout comme certains avaient pu l’anticiper. Krugman anticipait un ralentissement de cette économie mais pas de crise. Le modèle devait s’essouffler et non pas s’interrompre brutalement, personne n’avait prévu cela et les modalités de la crise ont pris tous les analystes de court. C’est une crise d’une nature nouvelle, ce qui explique aussi qu’on ne l’ait pas vu venir.


I.                   D’où vient cette crise ?

1.       Les manifestations de la crise

La crise débute traditionnellement de 2 juillet 1997, même si les causes sont évidemment plus profondes. C’est la Thaïlande qui pâtit en premier. Du jour au lendemain, la monnaie thaïlandaise s’effondre brutalement. C’est ennuyeux puisqu’en conséquence les exportations sont plus chères, les dettes de la Thaïlande explosent aussi (elles sont stables en réalité mais du fait de la dévalorisation, il faut rembourser davantage) touchant l’ensemble du système bancaire et financier. On a donc un ralentissement du PIB et la Thaïlande en 1997 va connaître pour la première fois depuis les années 1980, une croissance négative.
D’autres monnaies vont alors être attaquées et remises en cause : le ringgit malaisien et la rupiah indonésienne dés septembre 1997 ; le dollar de Singapour et le dollar de Hong-Kong en octobre 1997 ; le won de Corée du Sud en novembre 1997. L’économie est donc en berne et les pays les plus concernés vont faire appel au Fond Monétaire International (FMI) : en août 1997 pour la Thaïlande, en novembre 1998 pour l’Indonésie et en janvier 1998 pour la Corée du Sud. La Malaisie refuse de faire appel au FMI.
Seule la Chine passe au travers des gouttes et en profitera pour faire de la bienveillance vis-à-vis de ses voisins en difficulté.

C’est donc sous la forme d’une crise financière, spécifiquement une crise de change suite à des spéculations contre les monnaies de ces pays, que se présente cette crise asiatique dans un premier temps. Ces attaques spéculatives sur la monnaie consistent à parier sur la dévalorisation de la monnaie. Dans le monde, des transactions ont lieu, on échange des monnaies pour faire des transactions réelles. Une grosse masse de ces échanges ne se fait pas en liens avec des opérations réelles mais sur des opérations supposées (parier que la monnaie va gagner en force et donc envisager ce pari sur le long terme). Cette spéculation est utile dans le sens où le spéculateur prend un risque que d’autres ne veulent pas prendre, mais il est vrai que celle-ci a eu tendance à déborder ces derniers temps. Les attaques spéculatives des monnaies, sont la manifestation d’une défiance des agents sur une monnaie, les agents parient donc sur sa chute en vendant cette monnaie à un prix donné. On achète donc de la monnaie à un assureur (disons à 10) en espérant qu’au moment de la revente celle-ci est chuté (à 8), ce qui vous rend gagnant (de 2).
Ces attaques spéculatives peuvent ne pas se voir mais peuvent aussi avoir des conséquences réelles. Ainsi une monnaie peut être mise à mal juste parce que tout le monde pense qu’elle va tomber provoquant ainsi sa chute.

En Thaïlande, les autorités ont décidé de maintenir le prix du baht vis-à-vis du dollar. Du coup, la banque centrale s’engage à vendre sa monnaie nationale contre une monnaie étrangère à un certain prix et peut importe le nombre de gens qui veulent acheter du baht. C’est ce qu’on nomme une politique de change fixe, la notion d’offre et de demande n’influence en rien le taux de change. Le baht est depuis 1985 totalement stable vis-à-vis du dollar. Une telle politique peut s’avérer très risquée puisqu’il faut soutenir cette monnaie. Si tout le monde revendait ses bahts, la banque s’est engagée à les acheter contre des dollars qu’elle doit toujours avoir en réserve.

Peu de temps auparavant, on avait vu une crise de change dans une économie en développement avec une politique de change fixe : le Mexique. Pourquoi a-t-on crut que la Thaïlande s’en sortirait ? La Thaïlande n’a pas été interprétée en signe de risques pour plusieurs raisons. D’abord, les finances publiques étaient saines pas comme au Mexique. Cependant, à coté de sa politique de taux de change fixe, la Thaïlande avait un déficit budgétaire extérieur (appelé aussi déficit du compte-courant). Ce déficit extérieur est essentiellement représenter par une balance commerciale négative : le pays importe plus qu’il n’exporte, il épargne moins qu’il n’investit en général. Ce déficit du compte courant était en place en Thaïlande comme au Mexique. Cumulé à un taux de change fixe, cela est mauvais signe. Il aurait été judicieux d’un peu dévaluer la monnaie pour s’en sortir, vu que le Mexique avait échoué. Mais les observateurs ont surtout souligné les différences plutôt que les similarités. Enfin, dans le cas mexicain, puisqu’on a un déficit du compte courant, il faut aller chercher des ressources dans les épargnes étrangères (on fait rentrer des capitaux étrangers). Pour le Mexique, les capitaux étrangers étaient des capitaux de portefeuille, c’est à dire un type de flux très volatiles qui entrent et sortent à toute vitesse (cela s’oppose aux capitaux stables, types IDE, qui restent longtemps).
Les indicateurs rouges de la Thaïlande étaient sensiblement différents des crises précédentes, ce qui a aveuglé une partie des analystes. Le cas mexicain était trop présent à l’esprit pour qu’on se soucie réellement des conditions en place en Thaïlande.

2.      Les excès en Thaïlande

Pour la Thaïlande, les dysfonctionnements venaient surtout du secteur financier, une crise d’investissements. Cette crise d’investissements est due à des excès financiers. On peut découper les causes de ses faiblesses financières. Cette crise jamais vue est celle d’excès financiers dont les responsables sont nombreux.

A.     Le surinvestissement

Les investissements massifs ne sont pas toujours négatifs, les investissements productifs sont plutôt bons. De plus, dans une économie en développement, il semble normal que les acteurs s’endettent pour investir. Sauf que cet investissement n’était pas si productif qu’on le pensait. La plupart de ces investissements étaient consacrés à des investissements à faible rentabilité.
Ces investissements furent contractés par des endettements peu fiables : à la fois en monnaie étrangère et à la fois à court terme pour financer des projets de long terme (le remboursement doit se faire rapidement mais le projet ne vous renflouera qu’à long terme). On a donc eu un risque de change et un risque d’échéance.
Ces activités à faible rentabilité se firent notamment dans le secteur immobilier. On investit dans de grosses installations touristiques, dans de gros immeubles de bureaux, … On a ainsi obtenu des bâtiments gigantesques, vides d’habitants ou de travailleurs. On a donc bien eu un surinvestissement dans le secteur immobilier sans que quiconque ne viennent s’installer dans ces bâtiments. Ainsi, le retour économique n’a pas lieu pour ceux qui ont investit à court terme.

B.     Facteurs internes

Parmi les facteurs internes, une faiblesse majeure domine : la quasi-absence de la règlementation prudentielle en matière bancaire. Il s’agit en fait d’une règlementation qui est imposée aux banques, celles-ci sont des intermédiaires financiers entre ceux qui ont trop d’argent et qui l’épargnent et ceux qui en manquent et qui savent où investir. Cependant, il est clair qu’il faut que les banques ne prêtent pas de trop, d’où ce règlement prudentiel.
En Thaïlande, les banques faisaient presque ce qu’elles voulaient, surtout que grâce à l’ouverture aux IDE, les banques thaïlandaises pouvaient prêter à peu près partout dans le monde et dans tous les sens. L’absence de contrôle a donc encouragé les comportements à risques. Les banques souvent étroitement connectées avec les grandes entreprises n’agissaient pas toujours par rentabilité mais beaucoup par copinage.
Autre pratique, le gouvernement thaïlandais rend souvent secours en cas de difficultés. Donc si une banque agit de travers et s’écroule, il y a une garantie publique derrière. On ne contrôle pas les banques et on les secoure publiquement dès la moindre difficulté, cela n’incite pas à choisir de bons investissements. En 1996, la Banque ??? après un investissement raté auprès d’un projet non fiable, fut remboursée totalement par l’Etat. On parle alors du phénomène d’aléa moral, lorsqu’il existe un mécanisme de protection, les comportements à risques ne sont pas découragés.

En 1993, les autorités thaïlandaises veulent faire de Bangkok un vaste centre financier digne de Hong-Kong. En conséquence, est créé un système le Bangkok International Banking Facilities (BIBF)  des banques Thaïlandaises obtiennent des licences pour opérer sur les marchés internationaux. Il faut faire des banques qui puissent s’engager sur des marchés internationaux offshores.
Ayant obtenu la licence, les banques peuvent soit emprunter sur les marchés internationaux et reprêter sur ces mêmes marchés internationaux (les systèmes out – out), soit emprunter à l’extérieur pour prêter à l’intérieur de la Thaïlande (système out – in). Alors que le système out – out aurait du être majoritaire, dès l’instauration du BIBF, ce sont les systèmes out – in qui furent majoritaires. C’est devenu un problème dès que les banques firent n’importe quoi avec les ressources.

Autre facteur en interne, la politique de taux de change fixe. Si la valeur de la monnaie est stable depuis des années, pourquoi s’inquiéter si on s’endette en dollars puisque le baht est stable ? Cela ne développe pas particulièrement les risques, le classique risque de change est masqué grâce à cela.

Enfin, les emprunteurs doivent souvent donner une preuve de leur garantie, cela est généralement donné sous forme de biens. On peut s’endetter en donnant sous forme de garantie des biens immobiliers. Or avec la bulle immobilière qui a grossi en Thaïlande on voit la capacité à emprunter augmenter puisque les prix de l’immobilier ont augmenté. Lorsque la bulle immobilière éclate, les biens ne valent plus rien, la capacité à emprunter ou rembourser non plus. Cela n’a fait qu’aggraver la crise quand elle s’est déclarée.

C.     Facteurs externes

Une part de responsabilité appartient aussi aux prêteurs étrangers qui ont investi massivement en Thaïlande. Dés que certains doutes ont germé dans l’esprit des acteurs, on a constaté étonnamment que les investissements continuaient de s’accentuer. Malgré les signes alarmants, les investissements ont perduré. Lorsqu’on demandait les raisons des investissements prolongés aux acteurs, ceux-ci répondaient que tant que les autres continuaient d’y aller, alors il était moins grave de se tromper tous ensemble. Typiquement dans le milieu bancaire, cette règle de se tromper tous ensemble qui n’est pas si grave, conduit à des mouvements de mimétisme parfois très risqués.

Tout le monde s’est jeté sur les économies asiatiques puisqu’elles étaient jugées vertueuses, et dès les doutes confirmés, tout le monde s’est retiré. Le miracle asiatique a alimenté les entrées de fonds puis son déclin lors de cette crise.
La croissance forte de la Thaïlande a maintenu des capitaux, dés qu’elle s’est essoufflée, les investissements ont fui, le risque de change s’est concrétisé et la Thaïlande a plongé.





D.     Le point de retournement

Ce point de retournement fut le constat d’un ralentissement de la croissance lié à un ralentissement des exportations dans le milieu de l’année 1996. Ce doute a atteint les investisseurs qui ont stoppé net. Il semble que l’appréciation réelle du dollar dans l’année 1995 (puisque lui fluctue en fonction des autres monnaies) doublé du taux de change fixe en Thaïlande a rendu le baht moins compétitif, puisqu’il a suivi la croissance du dollar, ce qui semble avoir ralenti les exportations thaïlandaises dans le reste du monde.

3.      La contagion de la crise

Trois groupes d’explications sont possibles.

A.     Les dévaluations compétitives

On ne parle de dévaluation que dans le cadre d’un régime de change fixe où le politique décide de baisser la valeur de la monnaie. Si on est en régime de change flexible, les variations du taux de change sont soumis à des acteurs extérieurs et en conséquence, on ne parle pas de dévaluation mais de dépréciation.

Dans le cas de l’Asie, le baht décroche par rapport au dollar puisque l’économie thaïlandaise ne pouvait plus soutenir le régime de change. Passant du régime de change fixe à un régime de change flexible, on parle donc d’une dépréciation. La Thaïlande a donc vu sa monnaie dépréciée, ce qui en conséquence l’a rendu plus compétitive sur le marché international des exportations. En conséquence, les concurrents directs de la Thaïlande, Malaisie et Indonésie, ont perdu leur compétitivité sur le marché américain et risquaient donc de devoir déprécier leur monnaie. Les spéculateurs voyant la tendance se dessiner ont donc spéculé contre la monnaie malaisienne et indonésienne, accentuant la chute de ces pays.

B.     Les mouvements de panique

Une autre explication tient aux mouvements de panique. Les investisseurs voyant les risques de la Thaïlande prennent peur, n’ont guère plus confiance dans les pays alentours et fuient la région en générale. Ce mouvement de panique vis-à-vis de l’ensemble de la région peut expliquer pour une part la chute générale suite à cette crise. Du coup, la mondialisation financière est de nouveau pointée du doigt dans cette explication.

C.     Les similitudes des faiblesses

Les mécanismes de la Thaïlande et ses faiblesses se retrouvent aussi pour une part dans les autres pays asiatiques, notamment l’Indonésie, la Malaisie et la Corée du Sud. Pas de mécanismes de supervision construit, des connexions étroites entre banques et entreprises poussant au copinage, un surinvestissement général (dont les milieux varient, industrie automobile pour la Corée du Sud, plus que l’immobilier), … Ces grosses vulnérabilités se reproduisaient dans les autres pays en dépit de quelques différences malgré tout.

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