3.
La Thaïlande
De nouveau on se
retrouve avec une économie riche en ressources naturelles, en particulier de par son
économie agricole avec une exportation de riz assez importante. En revanche, la
Thaïlande a connu beaucoup de hauts et de bas avec de multiples coups d’Etat.
Les deux phénomènes sont liés : une partie des partis sont populistes et
agricoles et ont le peuple derrière eux, les autres partis sont élitistes mais
minoritaires et doivent toujours se concilier avec les partis populistes pour
garder le pouvoir, en général peu de temps. Par contre, l’évolution économique est particulièrement stable étant
déconnectée des aléas politiques. Cela est du à une technocratie de l’économie
qui mène son cap en dépit des variations politiques.
De nouveau, on
trouve le passage d’une stratégie d’ISI pour ensuite être abandonnée au profit
d’un libéralisme commercial avec l’orientation à l’exportation. Assez étroitement intégrée dans
les circuits commerciaux internationaux. Les produits d’exportation promus
furent les produits agricoles avec autosuffisance en riz et par la suite
exportation de riz. Graduellement, des
efforts seront faits pour diversifier les produits exportés et sera encouragé l’industrie
légère qui passera du domaine textile et habillement au secteur
électronique (notamment le domaine des disques durs). Dans le secteur
automobile la Thaïlande devient la plaque tournante. Elle s’ouvre aux
producteurs automobiles, notamment japonais, et ces investisseurs s’y
implanteront pour produire les voitures dans ce pays. La stratégie nationaliste
de la Malaisie ou de l’Indonésie n’est pas à prendre en compte ici.
Il reste difficile
de voir en Thaïlande une véritable stratégie industrielle. Il s’agit d’accueillir
des IDE, des entreprises étrangères et la direction de la ligne économique est
peu cohérente. Il n’y a pas de plan industriels. Le pays reste complètement
ouvert aux IDE, ce sont surtout les Japonais qui en profiteront sans que la
Thaïlande fasse quoique ce soit pour les avantager.
On a donc encore
des points communs avec les pays précédents, tout en ayant des particularités
singulières dont une forte instabilité politique.
La différence
majeure entre les deux générations reste sur la question des ressources de
départ, particulièrement le cas de la première génération qui a du inventer et
être créative.
La seconde génération ne s’explique pas seulement par ses ressources
naturelles, ce fut un levier bien utilisé mais tout ne repose pas dessus. De plus, la seconde génération n’a pas su
organiser correctement son développement industriel même si tout cela reste
variable entre les pays. Enfin, les
économies de seconde génération furent beaucoup plus dépendantes des IDE que
les premières générations (à l’exception de Singapour). Ce dernier critère
tend d’ailleurs à remettre en question les notions de « première » et
de « seconde » génération. Le critère de différenciation pourrait
reposer sur les IDE et on scinderait Asie du Nord-Est (Corée du Sud, Hong-Kong
et Taïwan) et Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie, Indonésie et Thaïlande).
En tout cas le vrai
point commun c’est la conduite macroéconomique qui est composée de grandes
constantes, dés qu’on fouille un peu, les diversités de politiques se révèlent.
Autre petit point commun, le pragmatisme des dirigeants dans les économies, quitte à revenir en arrière et
abandonner des politiques économiques qui auraient à perte (la voiture proton
pouvant être un exemple contestable).
Il n’y a donc pas
de modèle clair dans les conduites économiques de ces pays. Les différences
restent prégnantes et parler de modèle peut être très contestable.
La
crise financière asiatique de 1997 – 1998
Cette crise est
intéressante puisqu’elle a déclenché un nouveau débat chez les économistes. Certains
y ont vu la fin du miracle asiatique, d’autres préférant dire que la continuité
était de rigueur.
Toujours est-il que cette crise fut
absolument imprévisible. L’Asie était une zone exceptionnelle à laquelle
tout réussissait. Du coup, on montrait cette région comme un espace modèle pour
d’autres régions en échec économique comme l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Et d’un
coup, cette crise touche l’Asie et remet en question ce genre de propos. La
crise ne s’est pas jouée du tout comme certains avaient pu l’anticiper. Krugman anticipait un ralentissement de cette
économie mais pas de crise. Le modèle devait s’essouffler et non pas s’interrompre
brutalement, personne n’avait prévu cela et les modalités de la crise ont pris
tous les analystes de court. C’est une
crise d’une nature nouvelle, ce qui explique aussi qu’on ne l’ait pas vu venir.
I.
D’où vient cette
crise ?
1.
Les manifestations de la crise
La crise débute
traditionnellement de 2 juillet 1997, même
si les causes sont évidemment plus profondes. C’est la Thaïlande qui pâtit en
premier. Du jour au lendemain, la monnaie thaïlandaise s’effondre brutalement. C’est ennuyeux puisqu’en
conséquence les exportations sont plus chères, les dettes de la Thaïlande
explosent aussi (elles sont stables en réalité mais du fait de la
dévalorisation, il faut rembourser davantage) touchant l’ensemble du système
bancaire et financier. On a donc un ralentissement du PIB et la Thaïlande en 1997 va connaître pour la première fois depuis les années 1980, une croissance négative.
D’autres monnaies
vont alors être attaquées et remises en cause : le ringgit malaisien et la
rupiah indonésienne dés septembre 1997 ;
le dollar de Singapour et le dollar de Hong-Kong en octobre
1997 ; le won de Corée du Sud en novembre
1997. L’économie est donc en berne et les pays les plus concernés vont
faire appel au Fond Monétaire International (FMI) : en août 1997 pour la Thaïlande, en novembre 1998 pour l’Indonésie et en janvier 1998 pour la Corée du Sud. La Malaisie
refuse de faire appel au FMI.
Seule
la Chine passe au travers des gouttes et en profitera pour faire de la
bienveillance vis-à-vis de ses voisins en difficulté.
C’est donc sous la
forme d’une crise financière, spécifiquement une crise de change suite à des
spéculations contre les monnaies de ces pays, que se présente cette crise asiatique
dans un premier temps.
Ces attaques spéculatives sur la monnaie
consistent à parier sur la dévalorisation de la monnaie. Dans le
monde, des transactions ont lieu, on échange des monnaies pour faire des
transactions réelles. Une grosse masse de ces échanges ne se fait pas en liens
avec des opérations réelles mais sur des opérations supposées (parier que la
monnaie va gagner en force et donc envisager ce pari sur le long terme). Cette
spéculation est utile dans le sens où le spéculateur prend un risque que d’autres
ne veulent pas prendre, mais il est vrai que celle-ci a eu tendance à déborder
ces derniers temps. Les attaques
spéculatives des monnaies, sont la manifestation d’une défiance des agents sur
une monnaie, les agents parient donc sur sa chute en vendant cette monnaie à un
prix donné. On achète donc de la monnaie à un assureur (disons à 10) en
espérant qu’au moment de la revente celle-ci est chuté (à 8), ce qui vous rend
gagnant (de 2).
Ces attaques
spéculatives peuvent ne pas se voir mais peuvent aussi avoir des conséquences
réelles. Ainsi une monnaie peut être mise à mal juste parce que tout le monde
pense qu’elle va tomber provoquant ainsi sa chute.
En Thaïlande, les
autorités ont décidé de maintenir le prix du baht vis-à-vis du dollar. Du coup, la banque centrale s’engage
à vendre sa monnaie nationale contre une monnaie étrangère à un certain prix et
peut importe le nombre de gens qui veulent acheter du baht. C’est ce qu’on nomme une politique de
change fixe, la notion d’offre et de demande n’influence en rien le taux de
change. Le baht est depuis 1985
totalement stable vis-à-vis du dollar. Une telle politique peut s’avérer très
risquée puisqu’il faut soutenir cette monnaie. Si tout le monde revendait ses
bahts, la banque s’est engagée à les acheter contre des dollars qu’elle doit
toujours avoir en réserve.
Peu de temps auparavant,
on avait vu une crise de change dans une économie en développement avec une
politique de change fixe : le Mexique. Pourquoi
a-t-on crut que la Thaïlande s’en sortirait ? La Thaïlande n’a pas été
interprétée en signe de risques pour plusieurs raisons. D’abord, les finances
publiques étaient saines pas comme au Mexique. Cependant, à coté de sa politique de taux de change fixe, la Thaïlande
avait un déficit budgétaire extérieur (appelé aussi déficit du compte-courant).
Ce déficit extérieur est essentiellement représenter par une balance
commerciale négative : le pays importe plus qu’il n’exporte, il épargne
moins qu’il n’investit en général. Ce déficit du compte courant était en place
en Thaïlande comme au Mexique. Cumulé à
un taux de change fixe, cela est mauvais signe. Il aurait été judicieux d’un
peu dévaluer la monnaie pour s’en sortir, vu que le Mexique avait échoué. Mais
les observateurs ont surtout souligné les différences plutôt que les
similarités. Enfin, dans le cas mexicain, puisqu’on a un déficit du compte
courant, il faut aller chercher des ressources dans les épargnes étrangères (on
fait rentrer des capitaux étrangers). Pour
le Mexique, les capitaux étrangers étaient des capitaux de portefeuille, c’est
à dire un type de flux très volatiles qui entrent et sortent à toute vitesse
(cela s’oppose aux capitaux stables, types IDE, qui restent longtemps).
Les indicateurs
rouges de la Thaïlande étaient sensiblement différents des crises précédentes,
ce qui a aveuglé une partie des analystes. Le cas mexicain était trop présent à
l’esprit pour qu’on se soucie réellement des conditions en place en Thaïlande.
2.
Les excès en Thaïlande
Pour la Thaïlande,
les dysfonctionnements venaient surtout du secteur financier, une crise d’investissements. Cette crise d’investissements
est due à des excès financiers. On peut découper les causes de ses faiblesses
financières. Cette crise jamais vue est celle d’excès financiers dont les
responsables sont nombreux.
A.
Le surinvestissement
Les investissements
massifs ne sont pas toujours négatifs, les investissements productifs sont
plutôt bons. De plus, dans une économie en développement, il semble normal que
les acteurs s’endettent pour investir. Sauf que cet investissement n’était pas
si productif qu’on le pensait. La plupart de ces investissements étaient
consacrés à des investissements à faible rentabilité.
Ces investissements
furent contractés par des endettements peu fiables : à la fois en monnaie
étrangère et à la fois à court terme pour financer des projets de long terme (le remboursement doit se faire
rapidement mais le projet ne vous renflouera qu’à long terme). On a donc eu un risque de change et un
risque d’échéance.
Ces activités à
faible rentabilité se firent notamment dans le secteur immobilier. On investit dans de grosses
installations touristiques, dans de gros immeubles de bureaux, … On a ainsi
obtenu des bâtiments gigantesques, vides d’habitants ou de travailleurs. On a
donc bien eu un surinvestissement dans le secteur immobilier sans que quiconque
ne viennent s’installer dans ces bâtiments. Ainsi, le retour économique n’a pas
lieu pour ceux qui ont investit à court terme.
B.
Facteurs internes
Parmi les facteurs
internes, une faiblesse majeure domine : la quasi-absence de la
règlementation prudentielle en matière bancaire. Il s’agit en fait d’une
règlementation qui est imposée aux banques, celles-ci sont des intermédiaires
financiers entre ceux qui ont trop d’argent et qui l’épargnent et ceux qui en
manquent et qui savent où investir. Cependant, il est clair qu’il faut que les
banques ne prêtent pas de trop, d’où ce règlement prudentiel.
En Thaïlande, les
banques faisaient presque ce qu’elles voulaient, surtout que grâce à l’ouverture
aux IDE, les banques thaïlandaises pouvaient prêter à peu près partout dans le
monde et dans tous les sens. L’absence de contrôle a donc encouragé les
comportements à risques. Les banques souvent étroitement connectées avec les
grandes entreprises n’agissaient pas toujours par rentabilité mais beaucoup par
copinage.
Autre pratique, le
gouvernement thaïlandais rend souvent secours en cas de difficultés. Donc si
une banque agit de travers et s’écroule, il y a une garantie publique derrière.
On ne contrôle pas les banques et on les secoure publiquement dès la moindre
difficulté, cela n’incite pas à choisir de bons investissements. En 1996,
la Banque ??? après un investissement raté auprès d’un projet non fiable,
fut remboursée totalement par l’Etat. On parle alors du phénomène d’aléa moral,
lorsqu’il existe un mécanisme de protection, les comportements à risques ne
sont pas découragés.
En
1993, les autorités thaïlandaises veulent
faire de Bangkok un vaste centre financier digne de Hong-Kong. En conséquence,
est créé un système le Bangkok
International Banking Facilities (BIBF)
des banques Thaïlandaises obtiennent des licences pour opérer sur les
marchés internationaux. Il faut faire des banques qui puissent s’engager
sur des marchés internationaux offshores.
Ayant
obtenu la licence, les banques peuvent soit emprunter sur les marchés
internationaux et reprêter sur ces mêmes marchés internationaux (les systèmes out
– out), soit emprunter à l’extérieur pour prêter à l’intérieur de la Thaïlande
(système out – in). Alors que le système
out – out aurait du être majoritaire, dès l’instauration du BIBF, ce sont les
systèmes out – in qui furent majoritaires. C’est devenu un problème dès que
les banques firent n’importe quoi avec les ressources.
Autre facteur en
interne, la politique de taux de change fixe. Si la valeur de la monnaie est stable depuis des
années, pourquoi s’inquiéter si on s’endette en dollars puisque le baht est
stable ? Cela ne développe pas particulièrement les risques, le classique
risque de change est masqué grâce à cela.
Enfin, les
emprunteurs doivent souvent donner une preuve de leur garantie, cela est
généralement donné sous forme de biens. On peut s’endetter en donnant sous
forme de garantie des biens immobiliers. Or avec la bulle immobilière qui a grossi en Thaïlande on
voit la capacité à emprunter augmenter puisque les prix de l’immobilier ont
augmenté. Lorsque la bulle immobilière éclate, les biens ne valent plus rien,
la capacité à emprunter ou rembourser non plus. Cela n’a fait qu’aggraver la
crise quand elle s’est déclarée.
C.
Facteurs externes
Une part de
responsabilité appartient aussi aux prêteurs étrangers qui ont investi massivement
en Thaïlande. Dés
que certains doutes ont germé dans l’esprit des acteurs, on a constaté étonnamment
que les investissements continuaient de s’accentuer. Malgré les signes
alarmants, les investissements ont perduré. Lorsqu’on demandait les raisons des
investissements prolongés aux acteurs, ceux-ci répondaient que tant que les
autres continuaient d’y aller, alors il était moins grave de se tromper tous
ensemble. Typiquement dans le milieu bancaire, cette règle de se tromper tous
ensemble qui n’est pas si grave, conduit à des mouvements de mimétisme parfois
très risqués.
Tout le monde s’est
jeté sur les économies asiatiques puisqu’elles étaient jugées vertueuses, et
dès les doutes confirmés, tout le monde s’est retiré. Le miracle asiatique a
alimenté les entrées de fonds puis son déclin lors de cette crise.
La
croissance forte de la Thaïlande a maintenu des capitaux, dés qu’elle s’est
essoufflée, les investissements ont fui, le risque de change s’est concrétisé
et la Thaïlande a plongé.
D.
Le point de retournement
Ce point de
retournement fut le constat d’un ralentissement de la croissance lié à un
ralentissement des exportations dans le milieu de l’année
1996. Ce
doute a atteint les investisseurs qui ont stoppé net. Il semble que l’appréciation
réelle du dollar dans l’année 1995 (puisque
lui fluctue en fonction des autres monnaies) doublé du taux de change fixe en
Thaïlande a rendu le baht moins compétitif, puisqu’il a suivi la croissance du
dollar, ce qui semble avoir ralenti les exportations thaïlandaises dans le
reste du monde.
3.
La contagion de la crise
Trois
groupes d’explications sont possibles.
A.
Les dévaluations compétitives
On ne parle de
dévaluation que dans le cadre d’un régime de change fixe où le politique décide
de baisser la valeur de la monnaie. Si on est en régime de change flexible, les
variations du taux de change sont soumis à des acteurs extérieurs et en
conséquence, on ne parle pas de dévaluation mais de dépréciation.
Dans le cas de l’Asie,
le baht décroche par rapport au dollar puisque l’économie thaïlandaise ne
pouvait plus soutenir le régime de change. Passant du régime de change fixe à
un régime de change flexible, on parle donc d’une dépréciation. La Thaïlande a
donc vu sa monnaie dépréciée, ce qui en conséquence l’a rendu plus compétitive
sur le marché international des exportations. En conséquence, les concurrents
directs de la Thaïlande, Malaisie et Indonésie, ont perdu leur compétitivité sur
le marché américain et risquaient donc de devoir déprécier leur monnaie. Les
spéculateurs voyant la tendance se dessiner ont donc spéculé contre la monnaie
malaisienne et indonésienne, accentuant la chute de ces pays.
B.
Les mouvements de panique
Une autre
explication tient aux mouvements de panique. Les investisseurs voyant les risques
de la Thaïlande prennent peur, n’ont guère plus confiance dans les pays
alentours et fuient la région en générale. Ce mouvement de panique vis-à-vis de l’ensemble de
la région peut expliquer pour une part la chute générale suite à cette crise.
Du coup, la mondialisation financière est de nouveau pointée du doigt dans
cette explication.
C.
Les similitudes des faiblesses
Les mécanismes de
la Thaïlande et ses faiblesses se retrouvent aussi pour une part dans les
autres pays asiatiques, notamment l’Indonésie, la Malaisie et la Corée du Sud. Pas de mécanismes de supervision
construit, des connexions étroites entre banques et entreprises poussant au
copinage, un surinvestissement général (dont les milieux varient, industrie
automobile pour la Corée du Sud, plus que l’immobilier), … Ces grosses vulnérabilités
se reproduisaient dans les autres pays en dépit de quelques différences malgré
tout.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire