Une belle fac amiantée : Jussieu
La position de Jean-Yves Lodéo, député socialiste mais de
formation scientifique, est issue d’une doctrine marxiste : par le biais
de la science, on peut produire des richesses. Mais la doctrine marxiste ne
considère pas que la science doit être valorisée seulement parce qu’elle
produit des biens dans le cadre d’un marché, mais parce que la science peut
créer une forme d’émancipation au travers de progrès sociaux et moraux. Lodéo estime
qu’il ne faut pas céder à des visions de courts termes. Il faudrait une société où la
voix du politique serait mise entre parenthèses et les scientifiques devraient
pouvoir mieux s’exprimer. L’agenda
politique étant de court terme, les politiques ne peuvent envisager la science
sur le long terme. Lodéo demande alors de réintroduire dans le cadre des élites
(via l’ENA) des cours d’enjeux scientifiques, enjeux qui sont porteurs de progrès
scientifiques et sociaux.
D’autres penseurs,
comme Joseph Stieglitz, vont insister sur l’ambivalence
du progrès scientifique, source de mieux être et aussi d’inégalités nouvelles. Ainsi les innovations
pharmaceutiques se font avant tout dans le sens des maladies rentables, le reste
est à la charge de mécanismes correctifs de l’État. Les progrès scientifiques
doivent donc se comprendre comme le rapport entre sciences et politiques.
Lodéo comme Claude Allègre n’arrivent pas à comprendre
pourquoi l’opinion n’a pas confiance dans le scientisme, ce qui fait que pour
eux, elle est irrationnelle.
Or la science elle-même dans le laboratoire comme dans le reste de la société
ne produit plus seulement des certitudes mais bien des problèmes qui aboutissent
à des incertitudes. La science a évolué puisque dorénavant elle réfléchit sur
elle-même pour ???. La
scientifisation réflexive est que la science créant par elle-même des
dérives problématiques a du dorénavant réfléchir aussi sur elle-même. La scientifisation simple, c’est qu’autrefois
les phénomènes naturels ciblés par les scientifiques n’apparaissaient pas que
comme étant autre chose que de simples objets, dorénavant, ce domaine du « non-humain »
va se transformer en science ???.
Si l’on s’intéresse
au fonctionnement des laboratoires, le siècle des Lumières est le moment d’ultra
valorisation de la science, d’une science qui se présente source de certitudes
d’autorités et de pouvoir. Les
scientifiques pourtant depuis le départ établissent des hypothèses soumis à la
falsification des faits scientifiques (Karl Popper
dit que la science vise toujours à formuler des hypothèses pour les confirmer
ou les infirmer, le test de falsification c’est vérifier cela).
On a donc un
recours à la discussion face au doute cartésien. Dans La science contre l’opinion
de Bernadette Bensaude-Vincent, prend l’exemple
de 1784 où dit-elle, il y aurait eu une controverse
à propos du mesmérisme. L’académie des sciences se retrouve confrontée à un
médecin autrichien populaire et qui a proposé un type de pratique thérapeutique
à base de magnétisme. L’académie après étude estime que cette pratique relève
de la charlatanerie. Cela révèle une face cachée de la science, l’autorité, une
communauté scientifique représentée par quelques grands médecins qui
ostracisent au nom de la science cartésienne, une partie d’elle-même, une partie
de la science. C’est le moment où
autorité politique et autorité scientifique se mélange. L’argument d’autorité
prend le pas sur le scientisme. La science ignore alors la discussion
rationnelle.
Dans La vie de laboratoire de Bruno Latour, on apprend de quelles manières les
scientifiques produisent des vérités.
Il a fait une observation ethnographique dans un laboratoire de San Diego en se
faisant passer pour un technicien du laboratoire. Il découvre alors que les faits scientifiques ne sont pas construits de
manière objective. Il y a un processus scientifique qui suppose l’existence
d’une organisation sociale. Dans la production de l’hormone TRF, Latour
découvre que les scientifiques adoptent un engagement politique. En effet, pour
parvenir à obtenir la reconnaissance de la communauté scientifique et la
véracité de leur hypothèse, ils doivent mobiliser des ressources pas seulement
matérielles mais aussi symboliques et sociales. Les scientifiques doivent avoir
l’aval, l’accord et l’appui d’autres membres de la communauté. Le scientifique doit investir en
crédibilité, chercher la reconnaissance de ses pairs et à partir de la produire
de la vérité. Ainsi le chercheur coréen qui estimait avoir réussit un
clonage humain fut décrié par la communauté scientifique. Sans le soutien de la
communauté, il n’a pas pu produire de vérité. Toute découverte de vérité scientifique est une construction sociale.
Le scientifique doit fonctionner sur un
système de réseau (visible en particulier dans la pratique des citations et
des références) qu’il capitalise puis
réutilise. On ne peut parler de découverte que lorsque le fait est
naturalisé, qu’il n’est plus soumis à la discussion, qu’il est parvenu à
mobiliser un réseau de soutien et de chercheurs. De même sous le Second Empire,
Pasteur se révèle dans le débat sur l’apparition
de la vie. Des scientifiques estiment que la vie apparaît de manière mystique
et pour le prouver mettent une cloche sous vide qui, quelques semaines plus
tard, s’avère ne plus être vide mais composée de bactéries. La communauté
scientifique est ébranlée. Pasteur pense avoir trouvé une explication qu’il
doit malgré tout prouver à la communauté. Soutenu par Napoléon
III, Pasteur recréé les conditions de l‘expérience et finit par révéler
que les bactéries apparues mystiquement, sont en fait provoquées par la
prolifération des bactéries présentes sur le verre de la cloche sous vide. Pasteur
n’avait aucune certitude de son opinion au départ, il a pu le faire parce qu’il
avait cette capacité de mobiliser son réseau, capacité purement politique.
Deux exemples
concrets peuvent illustrer dans la vie contemporaine la science toute puissante
d’une part et l’opinion publique irrationnelle d’autre part. Le premier est le débat aux USA
sur les accidents de la route, le second porte en France sur la question de l’amiante.
Aux USA, les
accidents de la route étudiés par Joseph Gusfield,
sont relatés dans La culture des
problèmes publics : l’alcool au volant. Dans les politiques publiques,
il y a toujours un passage d’émergence du problème dans l’opinion publique ou
sur l’agenda politique. Relatant la mise sur l’agenda de ce problème, il fait
un constat saisissant où durant les années 1950,
les modes de conduite sont particulièrement lâches. Progressivement, les
pouvoirs publics sont obligés d’affronter l’augmentation des accidents. La première analyse qui est faite dans la
culture de ce problème vient des experts et des scientifiques qui produisent
une étude où la cause des accidents est l’alcool. Pendant, de nombreuses
années, cela va occulter la cause évidente à nos yeux : les morts dans les
accidents de voiture tiennent à la constitution même des voitures qui n’ont pas
de ceintures, pas de mécanismes de sécurité, … Les scientifiques en soulignant
la cause de l’alcool ont culpabilisé les conducteurs en oubliant de pousser au
développement de systèmes de sécurité dans la voiture. Gusfield insiste donc sur la production très sérieuse des études
scientifiques qui en présentant la cause de décès du à l’alcool ont mis en
évidence la rhétorique de la science, l’influence que celle-ci peut avoir
auprès des citoyens. En analysant cette rhétorique de la science, il évoque un
style du « non-style », un style neutre et transparent caractérisé
par l’impartialité. A l’inverse un beau discours on s’en méfie. Les
phénomènes sont donc reconstruits par la science, par le biais de l’alcoolisme
et publié dans les médias qui soulignent plus certaines statistiques que d’autres.
La
réalité de cette statistique est biaisée et s’appuie sur le fait qu’il y a une
reprise de la figure de l’automobilisme dangereux qui repose sur un discours
puritain, derrière un fou du volant, il y a un pécheur. Derrière le discours scientifique, on a une conception religieuse. Cela
vole en éclat avec la société du risque. Suite à cela, des contre analyses
furent faites et ont révélé des faits bien différents, celui de la conception
des voitures qui ne protégeaient nullement les conducteurs en cas d’accidents
(notamment pas de ceinture de sécurité). Mais longtemps la conception puritaine
du conducteur-pécheur a occulté cet aspect.
A l’inverse, on
trouve le cas de l’amiante en France étudié par Emmanuel
Henry dans L’amiante : le
scandale improbable. Il va mettre en évidence le rôle des médias dans
ce problème public.
Lorsque le média évoque un problème, il fait aussi office de caisse de résonance
et amplifie le phénomène tout en le déformant, c’est l’amplification médiatique. C’est déformé pour différentes raisons
en particulier pour simplifier le discours et le mettre à la portée de tous
dans un but in fine économique. Dans
le cas de l’amiante, on sait depuis longtemps que cette substance est
dangereuse. Il y a un consensus scientifique depuis
au moins les années 1950 sur la corrélation
entre amiante et cancer de la plèvre ainsi que des maladies neusocomiales. Et
pourtant le problème de l’amiante n’est apparu au jour que dans les années 1990. Emmanuel Henry cherche à
comprendre le décalage majeur entre les deux temps. En 1994,
un évènement apparaît avec l’affaire de Gérardmer, une ville de Lorraine. Des
veuves d’enseignants ont posé en justice une plainte au motif que leurs maris d’enseignants
seraient morts du fait de l’amiante. Pourtant ce n’est pas la première fois que
ces revendications émergent, Jussieu avait déjà protesté contre l’amiante bien
avant, mais sans écho médiatique. De plus, ce problème était limité aux
ouvriers et était répertorié comme un accident du travail. Pendant plus de 20 ans, c’était un problème de pauvres, d’ouvriers, de
dominés. Mais touchant directement des familles d’instituteurs, cela va commencer
à émerger. Les médias voient leur intérêt éveillé lorsque des enseignants
sont touchés par l’amiante. On redécouvre alors un article du très sérieux
Lancet qui rappelle que chaque année l’amiante tue des milliers d’individus.
Des dossiers apparaissent dans les médias, de plus en plus nombreux et
finissent par faire inscrire ce sujet comme problème de santé publique sur l’agenda
politique. Un lobby de l’amiante est alors découvert ce qui révèle une pratique
de la dissimulation du problème de l’amiante depuis des années.
Les médias ont donc
permis de transformer cette cause pour qu’elle soit entendue à grande échelle.
En même temps, la déformation et la simplification du discours est très
contestable. Le magazine
Science et vie de 1995 titre Mortel amiante, une épidémie qui nous
concerne tous. Il y a un cadrage
médiatique qui laisse de coté certains évènements et fait du coup, office de
cache. Les médias en cadrant l’amiante comme maladie du travail, ont longtemps occulté
ce sujet. Il aura fallu leur mettre le problème sous le nez pour que les
médias se rendent compte que la mort d’un ouvrier ne valait pas forcément celle
d’un instituteur.
Lire
l’introduction d’Agir dans un monde
incertain, Lascoum.
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