vendredi 8 février 2013

Politique du risque 08 - 02 (cours 2)


 Une belle fac amiantée : Jussieu



La position de Jean-Yves Lodéo, député socialiste mais de formation scientifique, est issue d’une doctrine marxiste : par le biais de la science, on peut produire des richesses. Mais la doctrine marxiste ne considère pas que la science doit être valorisée seulement parce qu’elle produit des biens dans le cadre d’un marché, mais parce que la science peut créer une forme d’émancipation au travers de progrès sociaux et moraux. Lodéo estime qu’il ne faut pas céder à des visions de courts termes. Il faudrait une société où la voix du politique serait mise entre parenthèses et les scientifiques devraient pouvoir mieux s’exprimer. L’agenda politique étant de court terme, les politiques ne peuvent envisager la science sur le long terme. Lodéo demande alors de réintroduire dans le cadre des élites (via l’ENA) des cours d’enjeux scientifiques, enjeux qui sont porteurs de progrès scientifiques et sociaux.
D’autres penseurs, comme Joseph Stieglitz, vont insister sur l’ambivalence du progrès scientifique, source de mieux être et aussi d’inégalités nouvelles. Ainsi les innovations pharmaceutiques se font avant tout dans le sens des maladies rentables, le reste est à la charge de mécanismes correctifs de l’État. Les progrès scientifiques doivent donc se comprendre comme le rapport entre sciences et politiques.

Lodéo comme Claude Allègre n’arrivent pas à comprendre pourquoi l’opinion n’a pas confiance dans le scientisme, ce qui fait que pour eux, elle est irrationnelle. Or la science elle-même dans le laboratoire comme dans le reste de la société ne produit plus seulement des certitudes mais bien des problèmes qui aboutissent à des incertitudes. La science a évolué puisque dorénavant elle réfléchit sur elle-même pour ???. La scientifisation réflexive est que la science créant par elle-même des dérives problématiques a du dorénavant réfléchir aussi sur elle-même. La scientifisation simple, c’est qu’autrefois les phénomènes naturels ciblés par les scientifiques n’apparaissaient pas que comme étant autre chose que de simples objets, dorénavant, ce domaine du « non-humain » va se transformer en science ???.

Si l’on s’intéresse au fonctionnement des laboratoires, le siècle des Lumières est le moment d’ultra valorisation de la science, d’une science qui se présente source de certitudes d’autorités et de pouvoir. Les scientifiques pourtant depuis le départ établissent des hypothèses soumis à la falsification des faits scientifiques (Karl Popper dit que la science vise toujours à formuler des hypothèses pour les confirmer ou les infirmer, le test de falsification c’est vérifier cela).
On a donc un recours à la discussion face au doute cartésien. Dans La science contre l’opinion de Bernadette Bensaude-Vincent, prend l’exemple de 1784 où dit-elle, il y aurait eu une controverse à propos du mesmérisme. L’académie des sciences se retrouve confrontée à un médecin autrichien populaire et qui a proposé un type de pratique thérapeutique à base de magnétisme. L’académie après étude estime que cette pratique relève de la charlatanerie. Cela révèle une face cachée de la science, l’autorité, une communauté scientifique représentée par quelques grands médecins qui ostracisent au nom de la science cartésienne, une partie d’elle-même, une partie de la science. C’est le moment où autorité politique et autorité scientifique se mélange. L’argument d’autorité prend le pas sur le scientisme. La science ignore alors la discussion rationnelle.

Dans La vie de laboratoire de Bruno Latour, on apprend de quelles manières les scientifiques produisent des vérités. Il a fait une observation ethnographique dans un laboratoire de San Diego en se faisant passer pour un technicien du laboratoire. Il découvre alors que les faits scientifiques ne sont pas construits de manière objective. Il y a un processus scientifique qui suppose l’existence d’une organisation sociale. Dans la production de l’hormone TRF, Latour découvre que les scientifiques adoptent un engagement politique. En effet, pour parvenir à obtenir la reconnaissance de la communauté scientifique et la véracité de leur hypothèse, ils doivent mobiliser des ressources pas seulement matérielles mais aussi symboliques et sociales. Les scientifiques doivent avoir l’aval, l’accord et l’appui d’autres membres de la communauté. Le scientifique doit investir en crédibilité, chercher la reconnaissance de ses pairs et à partir de la produire de la vérité. Ainsi le chercheur coréen qui estimait avoir réussit un clonage humain fut décrié par la communauté scientifique. Sans le soutien de la communauté, il n’a pas pu produire de vérité. Toute découverte de vérité scientifique est une construction sociale. Le scientifique doit fonctionner sur un système de réseau (visible en particulier dans la pratique des citations et des références) qu’il capitalise puis réutilise. On ne peut parler de découverte que lorsque le fait est naturalisé, qu’il n’est plus soumis à la discussion, qu’il est parvenu à mobiliser un réseau de soutien et de chercheurs. De même sous le Second Empire, Pasteur se révèle dans le débat sur l’apparition de la vie. Des scientifiques estiment que la vie apparaît de manière mystique et pour le prouver mettent une cloche sous vide qui, quelques semaines plus tard, s’avère ne plus être vide mais composée de bactéries. La communauté scientifique est ébranlée. Pasteur pense avoir trouvé une explication qu’il doit malgré tout prouver à la communauté. Soutenu par Napoléon III, Pasteur recréé les conditions de l‘expérience et finit par révéler que les bactéries apparues mystiquement, sont en fait provoquées par la prolifération des bactéries présentes sur le verre de la cloche sous vide. Pasteur n’avait aucune certitude de son opinion au départ, il a pu le faire parce qu’il avait cette capacité de mobiliser son réseau, capacité purement politique.

Deux exemples concrets peuvent illustrer dans la vie contemporaine la science toute puissante d’une part et l’opinion publique irrationnelle d’autre part. Le premier est le débat aux USA sur les accidents de la route, le second porte en France sur la question de l’amiante.
Aux USA, les accidents de la route étudiés par Joseph Gusfield, sont relatés dans La culture des problèmes publics : l’alcool au volant. Dans les politiques publiques, il y a toujours un passage d’émergence du problème dans l’opinion publique ou sur l’agenda politique. Relatant la mise sur l’agenda de ce problème, il fait un constat saisissant où durant les années 1950, les modes de conduite sont particulièrement lâches. Progressivement, les pouvoirs publics sont obligés d’affronter l’augmentation des accidents. La première analyse qui est faite dans la culture de ce problème vient des experts et des scientifiques qui produisent une étude où la cause des accidents est l’alcool. Pendant, de nombreuses années, cela va occulter la cause évidente à nos yeux : les morts dans les accidents de voiture tiennent à la constitution même des voitures qui n’ont pas de ceintures, pas de mécanismes de sécurité, … Les scientifiques en soulignant la cause de l’alcool ont culpabilisé les conducteurs en oubliant de pousser au développement de systèmes de sécurité dans la voiture. Gusfield insiste donc sur la production très sérieuse des études scientifiques qui en présentant la cause de décès du à l’alcool ont mis en évidence la rhétorique de la science, l’influence que celle-ci peut avoir auprès des citoyens. En analysant cette rhétorique de la science, il évoque un style du « non-style », un style neutre et transparent caractérisé par l’impartialité. A l’inverse un beau discours on s’en méfie. Les phénomènes sont donc reconstruits par la science, par le biais de l’alcoolisme et publié dans les médias qui soulignent plus certaines statistiques que d’autres.
La réalité de cette statistique est biaisée et s’appuie sur le fait qu’il y a une reprise de la figure de l’automobilisme dangereux qui repose sur un discours puritain, derrière un fou du volant, il y a un pécheur. Derrière le discours scientifique, on a une conception religieuse. Cela vole en éclat avec la société du risque. Suite à cela, des contre analyses furent faites et ont révélé des faits bien différents, celui de la conception des voitures qui ne protégeaient nullement les conducteurs en cas d’accidents (notamment pas de ceinture de sécurité). Mais longtemps la conception puritaine du conducteur-pécheur a occulté cet aspect.
A l’inverse, on trouve le cas de l’amiante en France étudié par Emmanuel Henry dans L’amiante : le scandale improbable. Il va mettre en évidence le rôle des médias dans ce problème public. Lorsque le média évoque un problème, il fait aussi office de caisse de résonance et amplifie le phénomène tout en le déformant, c’est l’amplification médiatique. C’est déformé pour différentes raisons en particulier pour simplifier le discours et le mettre à la portée de tous dans un but in fine économique. Dans le cas de l’amiante, on sait depuis longtemps que cette substance est dangereuse. Il y a un consensus scientifique depuis au moins les années 1950 sur la corrélation entre amiante et cancer de la plèvre ainsi que des maladies neusocomiales. Et pourtant le problème de l’amiante n’est apparu au jour que dans les années 1990. Emmanuel Henry cherche à comprendre le décalage majeur entre les deux temps. En 1994, un évènement apparaît avec l’affaire de Gérardmer, une ville de Lorraine. Des veuves d’enseignants ont posé en justice une plainte au motif que leurs maris d’enseignants seraient morts du fait de l’amiante. Pourtant ce n’est pas la première fois que ces revendications émergent, Jussieu avait déjà protesté contre l’amiante bien avant, mais sans écho médiatique. De plus, ce problème était limité aux ouvriers et était répertorié comme un accident du travail. Pendant plus de 20 ans, c’était un problème de pauvres, d’ouvriers, de dominés. Mais touchant directement des familles d’instituteurs, cela va commencer à émerger. Les médias voient leur intérêt éveillé lorsque des enseignants sont touchés par l’amiante. On redécouvre alors un article du très sérieux Lancet qui rappelle que chaque année l’amiante tue des milliers d’individus. Des dossiers apparaissent dans les médias, de plus en plus nombreux et finissent par faire inscrire ce sujet comme problème de santé publique sur l’agenda politique. Un lobby de l’amiante est alors découvert ce qui révèle une pratique de la dissimulation du problème de l’amiante depuis des années.
Les médias ont donc permis de transformer cette cause pour qu’elle soit entendue à grande échelle. En même temps, la déformation et la simplification du discours est très contestable. Le magazine Science et vie de 1995 titre Mortel amiante, une épidémie qui nous concerne tous. Il y a un cadrage médiatique qui laisse de coté certains évènements et fait du coup, office de cache. Les médias en cadrant l’amiante comme maladie du travail, ont longtemps occulté ce sujet. Il aura fallu leur mettre le problème sous le nez pour que les médias se rendent compte que la mort d’un ouvrier ne valait pas forcément celle d’un instituteur.

Lire l’introduction d’Agir dans un monde incertain, Lascoum.

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