Monument étrange à la gloire de la Constitution de Cadix (1812) et à ses cortes.
Par souci de clarté, il vous faudra certainement un résumé synthétique de la situation historique en Espagne et en Amérique du Sud pour le cours qui suit de Mr. Launey. Vous pouvez lire ce cours (1808 - 1870) qui est très court et, il me semble, très clair. Cela vous placera un cadre historique qui devrait être utile pour comprendre le cours qui suit.
La
Révolution de Cadix et les indépendances en Hispano-Amérique
20
ans après la Révolution française, l’Empire espagnol entre dans un contexte
révolutionnaire qui s’achève sur la disparition de l’Espagne comme grande
puissance et aboutit à la naissance d’une multitude d’États en Amérique du Sud.
C’est aussi le triomphe de l’État moderne dans ces nouveaux pays hispaniques.
Ce processus s’achève sur des indépendances depuis la révolution qui a pris
place à Cadix en Espagne.
Une crise d’ensemble
a créé et a stimulé des phénomènes révolutionnaires des deux cotés de l’Atlantique
avec au départ la Révolution Française. En Espagne, la crise se centre sur la
question de la représentation et de la légitimité de cette représentation. Ce
sujet voit le jour en 1808 et est
fondamental dans la culture politique d’Amérique Latine. C’est le critère
central sur lequel s’apprécie les régimes latino-américains.
Longtemps les
Grands propriétaires et les élites maitrisaient les votes d’une partie de la
population. Ainsi
les ouvriers agricoles votaient comme leurs patrons. Du coup, cela faussait
fondamentalement les élections du fait de la structure sociale. Cela n’empêche pas le développement du
pays, mais provoque un blocage politique malgré tout. Face à cela, les
réactions seront de deux types : d’une part le maintien ou le retour au
caudillisme (relation de type purement personnel l’autorité politique) qui donne logiquement
par la suite des régimes militaires et d’autre part, les populismes. Les
régimes populistes ont le mérite de donner le pouvoir représentatif au peuple à
l’inverse des régimes oligarchiques. Selon Guy
Hermet, c’est une supercherie populiste puisque arguant de lutter contre
les oligarchies, les populistes demandent le pouvoir et le prennent parfois de
force au nom du fait qu’ils vont le donner au peuple.
C’est à Cadix que
se met en place cette représentation
qui ne sera pas toujours respectée dans les nouveaux États indépendants. Il y a
un débat de la représentation qui s’ouvre à Cadix. Les droits du peuple et de
la nation sont dorénavant légitimes. La représentation va entrainer un certain
nombre de questions en premier lieu celle de la définition de la nation, puis
celle de l’égalité des deux continents et du statut de l’Amérique. Au cours des élections des premières années
d’indépendance, ces questions vont être développées. Au fil des élections, un
système de représentation moderne remplace le système ancien.
Avec
la fin de la monarchie espagnole et portugaise, on voit renaître l’idée de
représentation. Fin mai 1808, on annonce l’abdication
de Charles IV puis de Ferdinand VII, on annonce aussi des soulèvements
populaires en Espagne qui donnent lieu à la composition de juntes (juntas, des conseils) de défense. Les juntes sont des réponses patriotiques
qui trouvent leur légitimité dans l’action du peuple. Ces juntes refusent l’abdication,
parlent de loyauté et de fidélité envers leur roi. Elles insistent notamment
sur le pacte implicite qui existait entre le roi et la nation. Ce pacte fut
rompu indument par le roi, provoquant un effondrement politique et suggérant
une trahison du roi, il n’avait pas le droit d’abdiquer, d’abandonner son
peuple face aux armées napoléoniennes.
En conséquence, les
juntes doivent improviser une représentation. La composition des juntes représente la variété des
corps sociaux, des ordres et des institutions propres à une société d’Ancien
Régime (on a des intendants, des gouverneurs, des membres de municipalités, des
ecclésiastiques, des avocats, des artisans, des commerçants, …). Chacune des
juntes qui naissent dans les régions espagnoles va d’abord se tourner vers les
institutions représentatives médiévales. On
les voit alors se tourner vers un passé mythique pour combler la trahison
royale.
Une cortes générale, nommée la Suprême Junte
Centrale du Royaume, apparaît à Séville. Cette tentative de combler l’absence
de représentation va offrir un mélange de tradition et de modernité. Elle
considère qu’elle gouverne à la place de Ferdinand VII, ce qui est
immédiatement ambigu puisque ledit roi ne lui a pas fait de délégation
explicite. Elle se juge alors comme une représentante de la nation puisqu’elle
réunit toutes les régions en son sein.
Les membres de la junte centrale vont
avoir quasiment le statut de députés des cortes car ils sont représentants
de la nation, tout en demeurant des membres de l’élite d’Ancien Régime. Cette
junte va mener à sa manière la guerre aux armées napoléoniennes. C’est malheureusement
l’enchaînement de défaites successives face aux troupes napoléoniennes.
Pour parfaire la
représentation nationale, il faut des représentants des Amériques. La Junte Centrale demande alors à l’Amérique d’élire des représentants.
Cela pose la question de l’égalité entre l’Espagne et l’Amérique. Dans les
deux régions, le loyalisme (fidélité au roi) est sans faille depuis le début du
conflit. L’Amérique a aidé sa métropole dans ses tentatives pour résister aux
troupes françaises, sans succès donc. Du coup, face aux échecs de la Junte Suprême, les Amériques vont vouloir obtenir
leur propre junte et se heurtent aux autorités espagnoles en place en Amérique.
Les hauts-placés en Amérique étaient en place à leurs postes par une nomination
royale, royauté qui n’était pas remise en cause en Amérique.
Dans ce contexte,
un certain nombre de provinces vont se remettre clairement en cause la Junte Centrale
puisque la représentation américaine est viciée dans son principe. En effet, en
théorie, la Junte Centrale donne l’égalité aux représentants espagnols ou
américains, mais
dans leur réflexion, les membres espagnols de la Junte Central calculent en
termes de colonies. Or cette réflexion est haïe des Américains qui lorsqu’ils
parlaient d’Espagne, englobaient la Péninsule Ibérique et l’Amérique. Les propos de la Junte Centrale fixe une
inégalité entre l’Espagne et l’Espagne des « deux hémisphères ». Pire
encore, la Junte Centrale présente l’élection des membres à la Junte Centrale
comme une récompense pour sa loyauté à la couronne, ce qui nie la réalité des
dissensions sur le terrain. Enfin l’inégalité
se retrouve aussi dans le nombre de représentants américains au sein de cette
Junte Centrale. L’Amérique est constituée de 9 territoires et chacune doit
élire un député quand les régions espagnoles en ont 2 par territoire.
Parallèlement, l’élection
espagnole de la Junte Centrale mène au pouvoir des Modérés et des Libéraux
contre ceux qui voulaient la restitution des institutions d’Ancien Régime.
Cette Junte Centrale va donc encore plus innover dans l’idée de représentation. Un an plus tard, la Junte
Centrale fixe la date de réunion des cortes,
ce qui va aggraver les relations avec l’Amérique puisque le délai de réunion
des cortes est trop court pour que
les représentants américains arrivent à temps à ces réunions. L’inégalité devient trop forte pour les
Américains puisqu’ils savent qu’ils seront absents lors de ces réunions
législatives, symboles de la souveraineté nationale. La Junte consciente du
souci va vouloir remédier à ce problème par un système inédit. Puisqu’on ne
peut pas faire venir les représentants des Amériques, nommons des Espagnols
représentant les intérêts de l’Amérique. Si la guerre contre les armées
napoléoniennes est aussi à l’origine des actions précipitées de la Junte
Centrale, cela n’en reste pas moins indéfendable. Ces représentants élus par le peuple espagnol doivent représenter les
Américains. Cette représentation douteuse est renforcée par le fait que la Junte
Centrale se compose de 250 députés représentant l’Espagne et ses 10 millions d’habitants,
moins de 30 députés pour l’Amérique et les Philippines qui ont 14 millions d’habitants.
Début
1810, la légitimité de ce qui sera le pouvoir législatif,
les cortes, est entachée d’irrégularités
ce qui aboutit pour les Américains à un retournement de situation. Les
Américains fondent début 1810, leurs propres
juntes autonomes,
même si encore à cette époque la majorité de la population ne voulait pas
explicitement de l’indépendance.
A Cadix, où eu lieu
la Révolution libérale, le changement de régime va s’accélérer et favoriser l’indépendance
américaine.
Cadix, située sur une presqu’île, proche des navires alliés anglais et loin des
troupes françaises. Cadix est riche car elle est un port commercial important,
du coup, Napoléon instaure un siège devant la ville. Le peuple de Cadix, ouvert
aux idées nouvelles de par le fait que la
ville est cosmopolite, réunit les débats de junte de Cadix (qui n’est pas
la Junte Centrale). Les débats durent deux ans avec un des sujets principaux :
le suffrage universel.
Sous un
gouvernement militaire, Cadix voit ce gouvernement respecter la légitimité des
décisions prises dans les débats de la junte. Les militaires acceptent donc le
suffrage universel et des élections sont organisées. Une nouvelle junte voit
alors le jour.
Cette junte est donc élue par la population, en dépit d’un gouvernement militaire
remis en cause. De plus, la junte de Cadix élue s’installe dans un dispositif
démocratique qui cherche à avoir une influence sur la transition monarchique et
apporte par là, une certaine reconnaissance à la monarchie. La junte veut
définir les contours de la transition monarchique ce qui lui fait reconnaître le
caractère permanent de la monarchie. En même temps, cette junte veut une séparation
libérale des pouvoirs et qui pourrait remettre en cause le schéma monarchique. La configuration qui en sort a pour but de
mettre à profit la crise du régime pour donner au pays la Constitution qui
posera les fondements d’une monarchie parlementaire. Cette décision est le
fruit des désirs de riches marchands de Cadix, souvent des bourgeois, parfois
des nobles. Ces riches marchands utilisent tout de même le réseau
commercial pour défendre ce qui est une source de leur richesse. Autant ces
marchands acceptent le libéralisme politique, autant ils rejettent ce
libéralisme en économie. Mais l’évolution de la situation militaire va faire
évoluer la monopolisation du réseau commercial grâce aux Anglais qui abolissent
rapidement le monopole du commerce atlantique.
L’évolution rapide
de la situation vient de la guerre et d’une série de maladresses politiques.
Cadix, assiégée et surchauffée devient la scène de batailles décisives pour
tenter d’obtenir des représentations modernes. Or dans ce combat, Cadix fait un
pas en arrière en nommant un conseil de régence conservateur qui remplace la junte. Les Libéraux sont déçus et les partisans du changement vont lutter
contre ce conseil de régence. Une bonne partie des novateurs des années
précédentes, des commerçants, la plèbe de la ville sous l’influence probable
des commerçants, … En quelques mois, les novateurs de Cadix font pression sur
la régence qui en dépit de ses pressions subit ces critiques dans la presse,
dans les cafés. Le problème de l’unité de la monarchie retombe.
La réunion des cortes se fait alors à Cadix même dans une seule chambre qui
rassemble aussi des députés du Tiers-État ainsi que des représentants des
Amériques qui sont tirés de Cadix et dont une condition et d’être originaire
des Amériques. La régence ne va avoir
aucun droit ni aucune voix de réviser les mandats, de présider l’assemblée des cortes, … Bref, la régence ne peut
imposer les ordres du jour ou influer sur les thèmes traités par les cortes. Le pouvoir législatif est seul maître de
lui-même.
Lorsque les cortes de Cadix promulguent une
Constitution de la monarchie espagnole, on assiste par là même à l’achèvement
de la première étape de la Révolution hispanique en Espagne, la première étape
du démantèlement de l’Empire Espagnol. La monarchie absolue ou demi-absolue s’est
effondrée, de nombreuses élections ont eu lieu qui donnent la parole à la
nation, lui permettant ainsi de proclamer sa souveraineté. Un régime
représentatif au sens moderne est en train de se mettre en place.
Dans
la Constitution de mars 1812, on trouve le
principe de souveraineté nationale, de séparation des pouvoirs, des libertés
individuelles, de l’abolition des corps et des statuts privilégiés, de l’instauration
de corps électifs à tous les niveaux (municipal, provincial et national), ainsi
qu’un suffrage presque universel. Si l’on
s’en tient au texte, le monde hispanique a complètement adopté les formes et
les principes de la modernité politique. Il y aura en 1814, une restauration de la monarchie
non-constitutionnelle, juste après les premières défaites napoléoniennes, mais
ce n’est qu’une brève parenthèse puisqu’en 1820,
le processus de modernisation est relancé de manière encore plus radicale. Ce
sera l’occasion pour l’Amérique de réaffirmer son indépendance tout aussi
radicalement puisqu’à cette période Bolivar a déclaré la guerre à outrance aux
Loyalistes d’Amérique.
Le bilan de ce
processus est partagé. On a assisté à l’instauration d’une nouvelle légitimité
qui est le principe et la cause essentielle de la disparition de l’Empire.
Cette disparition n’était pas attendue sous cette forme et encore moins sous
cette rapidité. Ce qui a précipité la solution, c’est le refus de pratiquer une
égalité véridique de représentation entre Espagne et Amérique dans les
institutions législatives. Ces maladresses procédurales ont stimulé l’édiction
jusqu’en Amérique d’une certaine idée de la nation qui n’existait pas encore.
On constate par
ailleurs une rapidité du passage à la modernité politique qui pose plusieurs
problèmes pour l’avenir. Le triomphe des nouveaux principes politiques est
certain, mais cela signifie-t-il pour autant que la société est devenue moderne ? La vie politique de ces pays
a-t-elle adoptée immédiatement des pratiques conformes aux nouvelles références
qui furent proclamées très solennellement ? La réponse est plutôt négative du
fait de plusieurs facteurs. La victoire libérale est le produit inattendu d’un
concours de circonstances qui fait qu’il y a en Espagne un occupant, l’absence
du roi, la recherche d’une légitimité provisoire au pouvoir constitué
temporairement ainsi que la domination par hasard des Libéraux à Cadix. En outre, dans ce concours de
circonstances, il y a aussi des quiproquos comme la manière dont on
concevait le vocabulaire utilisé. Tout le monde aspire rapidement à la
représentation mais tout le monde ne la comprend pas clairement. Il y a un
quiproquo sur la signification de cette représentation puisque les sociétés
espagnoles et américaines restent au moins traditionnelles voire plus que cela.
En même temps, les élites traditionnelles sont apparues rapidement en déphasage
avec l’évolution de la société et des comportements. Et ceci se traduit par la persistance longue des clans familiaux,
des réseaux traditionnels, des corps de métiers, … en dépit des interdictions
de la Constitution. Une vie politique moderne se met en place avec sa dimension
électorale mais cela est déformé et altéré puisque les citoyens concernés et
qui n’ont pas de dépendance personnelle sont peu nombreux. Les principes de
la démocratie représentative ne sont suivis que par la minorité des membres des
nouvelles élites qui avaient approuvé ce nouveau système.
Face à la
résistance sociétale, ces élites vont tenter de mobiliser les vieux acteurs
collectifs en leur faveur pour tenter de transformer la société au-travers de
la politique. Mais ils vont être dépassés par l’épaisseur de la structure
sociale qui va confronter les vieux acteurs collectifs et les acteurs
collectifs plus modernes. Cela va développer une pratique propre à l’Amérique
du Sud : le caciquisme, autorité personnelle d’un chef local sur des
populations qui lui prêtent allégeance et dont toutes les relations qu’entretient
le cacique sont de types personnelles. En dépit de la modernité de cette
notion, ce sont les structures anciennes qui sont utilisées par les caciques pour
assoir leur élection.
Certes
la société a évolué en deux siècles, mais en dépit de cela, on retrouve encore
des résidus de cette culture de nos jours. Ainsi la nomination al dedo de Chavez se fait dans les trois
quarts en faveur de Vénézuéliens du Nord du pays, on peut y voir une forme de
caciquisme.
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