samedi 19 janvier 2013

Moyen-Orient 18 - 01 (cours 1)


 Caravane de dromadaires aux abords de Nouakchott, Yann Arthus Bertrand.
Certes c'est en Mauritanie, mais ça m'évoquait plus le Moyen-Orient.


Introduction


Diplomate libanais célèbre dans le milieu du Moyen-Orient, ministre des affaires étrangères de ce pays, Fouad Boutros était un homme reconnu par les chefs d’Etats arabes et même internationaux avec des liens avec les présidents occidentaux notamment. Boutros a déclaré « Ici c’est le Tiers-Monde. Chez nous dans le Tiers-Monde, c’est le politique qui commande l’économique ». Si ses propos furent beaucoup décriés, notamment chez les économistes, il sous-entendait que le politique dans les décisions prenait le dessus sur l’économie. Boutros luttait entre autres contre la corruption et le paternalisme. Le Printemps Arabe fut d’ailleurs présenté comme un effondrement économique avec des inflations sur les ressources dans les deux ou trois années avant ce Printemps Arabe. La paupérisation fut donc un paramètre économique largement signalé lors de ces évènements.
Fin 2011, Chindan Baram, ancien ministre indien des finances, déclarait « La démocratie coûte deux points de croissance ». Un acteur de premier plan sur le plan politique, souligne que la démocratie réduit l’émergence et le développement du Tiers-Monde.
En 1960 fut publié l’ouvrage Stages of growth, traduit comme Les étapes de la croissance, et écrit par l’américain Walt Rostow. Il a développé la notion de take off. Cet économiste plutôt développementaliste (on peut appliquer les étapes du développement pour à peu près tous les pays) a conservé un schéma prégnant dans les mentalités des dirigeants des pays du Moyen-Orient. Nasser qui lors de cette publication se disait socialiste et commençait alors à se rapprocher de l’URSS, va suite à cet ouvrage recommander sa lecture à ses ministres, puisqu’il pense qu’on y trouvera des solutions de développement. Rostow n’est pas un simple universitaire, il fut aussi un des premiers conseiller de l’administration américaine sur le Moyen-Orient.
Ibn Khaldoun est souvent considéré comme un précurseur de la sociologie puisqu’il donne quelques outils sociologiques dès le XIV° siècle. Il écrit « Chez les peuples animés d’un même esprit de corps, le commandement ne saurait appartenir à un étranger ». Il part ainsi de l’idée que le monde arabe tel qu’il est né dans le monde du désert et des villes du désert, est caractérisé par l’Asabiyya, l’esprit de clan. Toute son idée, toujours reprise par de nombreux sociologues, c’est que les sociétés arabes se sont structurées depuis cette cellule de base qu’est l’Asabiyya. Il y a cette idée que dans le monde musulman, on constate un rejet de la domination extérieure et des influences extérieures. Selon lui, « Une nation s’affaiblit lorsque s’altère et se corrompt le sentiment religieux ». S’il existait déjà des villes et des grandes villes, les sociétés bédouines ont connu un phénomène de détribalisation, une perte d’importance de l’Asabiyya initiale. La base de l’évolution de ce monde là a amené une plus grande richesse. Cette richesse est liée à la sédentarisation qu’elle rend possible et facilite (par le bâti, les infrastructures, …). La sédentarisation apparaît alors comme une perte de courage, on ne fait plus face aux risques du désert. On perd tant du courage qu’une forme de sauvagerie jusqu’alors valorisée. Au sens wébérien, la société se rationalise y compris dans le monde arabe. Ce phénomène de rationalisation semble pour certains membres de la société, bafouer les sources de cette même société. Il y a une altération du sens des origines et des valeurs. D’où les sens donnés dans certaines branches de l’islamisme d’un rejet de l’avilissement des nouvelles formes de sociétés dans les pays arabes.
Enfin Michel Foucher, qui a travaillé essentiellement sur la question des frontières européennes a écrit « Les réseaux sociaux ne sont que des outils, des mediums à langage. Les mots et les contenus sont eux politiques et sociaux ; ces vecteurs créent l’illusion d’une communauté virtuelle de protestataires ». Cela fait fortement écho aux révolutions arabes mais aussi en Syrie ou en Lybie. Les mouvements de ces pays sont partis des forums et des réseaux sociaux sur internet. Croire que ces internautes forment une identité réelle et unie est un leurre selon Michel Foucher. Au printemps 2011, l’ancienne secrétaire américaine d’Etat aux Affaires Etrangères, Hilary Clinton a énoncé dans son discours le « droit à la connexion et au rassemblement virtuel ». Cela fut un des axes des politiques de Barack Obama, la connectivité triomphante, cette capacité à fédérer et emporter dans son sens l’opinion publique. Cela a confirmé à l’hyperpuissance qu’il y avait une nouvelle concurrence mondiale dont le terrain s’est aussi déplacé. En Égypte, le directeur du marketing de Google, d’origine égyptienne, a eu un rôle primordial, il a libéré les réseaux sociaux durant cette révolution. Ceci dit, en Chine, Google a accepté de rester en étant filtré par les autorités chinoises. La stratégie de la société est variable selon les situations.

La géopolitique est le « jeu des conflits sur des territoires et pour les territoires » selon Yves Lacoste. C’est alors une méthode géographique d’analyse des conflits. On peut alors se demander où et comment bougent les frontières dans le Moyen-Orient au cours de dernières décennies ? Eh bien en fait, elles ne bougent pratiquement pas, sauf depuis 1948 avec la Palestine et Israël. On a donc une stabilité partielle si l’on ne regarde que les frontières.

Le Moyen-Orient est difficile à définir. Cette région du monde est associée au monde arabe et au Proche-Orient.
Le monde arabe qualifie un espace plus qu’un territoire. Le territoire est délimité, approprié et organisé. Ce monde arabe est un espace de peuplement qui s’étire pendant la conquête arabo-musulmane du Cachemire jusqu’à la Péninsule Ibérique. Ce peuplement s’est fait par la guerre, par la conquête et la conversion des peuples adversaires. Si c’est un territoire, on peut le qualifier par l’agriculture, par les institutions, par la religion, … Et pourtant, en analysant de plus près ses facteurs, ils sont fortement contestables. Par exemple, le monde arabe s’est unifié sous les Turcs qui ne sont pas arabes du tout. Il est donc difficile d’utiliser le terme « monde arabe ».
Le Proche-Orient est une expression créée par les intellectuels français au XIX° siècle. De plus, ce terme qualifie l’Orient comme une porte d’entrée vers l’Asie, mais dans le cadre des délimitations c’est très flou.
Le Moyen-Orient pour sa part croise deux notions depuis le début du XX° siècle. Ce mot est une projection sémantique anglaise qui prend de bout en bout ce territoire. Ensuite, la signification géopolitique forte en fait un espace charnière, ouvert et dépourvu de frontières naturelles. Nadine Picaudou qualifie cette « zone de carrefour géographique et humain, il se définit plus par les réseaux qui le parcourent que par les limites qui l’enserrent ». Un élément d’unité physique de ce monde, c’est la dominante semi-aride, cadre de l’association entre le monde nomades et les paysanneries sédentaires. De ce point de vu là, le basculement se situe dans la période de conquête et d’expansion du monde musulman. Cette expansion va renforcer les activités et les administrations dans cette région.
Dans ce Moyen-Orient, on a trois groupes humains qui grosso-modo correspondent à trois territoires :
·         Les Turcs sur le plateau anatolien, population relativement homogène.
·         Le monde irano-afghan beaucoup plus diversifié que la population turque. Par exemple, la moitié des iraniens ne sont pas persanophones. L’Afghanistan est organisé autour d’une ethnie principale les Pachtouns, mais il existe une pluralité d’ethnies dans ce pays.
·         L’Orient Arabe avec trois sous ensemble : la zone Égypto-soudanaise sur la vallée du Nil, le croissant fertile entre le littoral méditerranéen et le Tibre et l’Euphrate ; et enfin la Péninsule Arabe, espace mouvant désertique et ouvert. La Péninsule Arabe est cependant centrale, par la religion, puisque c’est le berceau de l’Islam, et par les valeurs bédouines.
Le Moyen-Orient est donc divers dans sa population mais on peut caractériser ses peuples. Il est parfaitement identifiable d’un point de vue physique (Delanole ??? a montré qu’on trouvait des vignes de bout en bout de cet espace). Ultime facteur unitaire, la religion islamique.

Le Moyen-Orient est donc une considération quelque part d’histoire culturelle, c'est-à-dire de réfléchir en termes de représentations que les peuples ont d’eux-mêmes. De plus, dans les pays situés dans l’espace du Moyen-Orient, l’expression « Moyen-Orient » s’y est imposée collectivement et y est très employée.

On notera tout de même que cette expression est occidentale et paradoxale. Il s’agirait d’une « entité géopolitique créée et pérennisée par les Occidentaux ». Les Européens l’ont créé, les Américains l’ont pérennisé.
Il y a l’idée d’une tradition dramatique et multiséculaire entre le Moyen-Orient et l’Occident dans les écrits de Georges Corm. En accentuant davantage cette idée de dramatisme, il constate que cela se lit à l’ouverture de chaque siècle. Au XIX° siècle, Napoléon entre dans la campagne d’Égypte et la retire de la domination de l’Empire Ottoman. Le XX° siècle est celui du double partage : les accords de San Remo (1920) qui instaurent des mandats de la SDN au nom des vainqueurs de la Première Guerre Mondiale ; et les accords pétroliers (1925 – 1928) qui permettent aux grands pays occidentaux de prendre une partie du marché pétroliers du Moyen-Orient notamment avec Callouste Gulbenkian. Enfin, le XIX° siècle commence avec le 11 septembre 2001, c'est-à-dire la réplique américaine avec l’invasion de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003. Pour Georges Corm, cela permet de justifier l’expression de « choc des civilisations » comme l’avait dit Huntington.
Selon Corm, la perception européenne de cet espace se caractériserait par « la religion islamique y joue le rôle de repoussoir fantasmatique des peurs européennes » et « ce repoussoir serait la justification de la volonté hégémonique occidentale sur le Moyen-Orient ». La pensée de Corm doit être analysée avec deux grandes précautions. D’une part, chez Corm, il y a une obsession anti-étatsunienne politique très nette mais aussi du fait que cela se constate à 95% dans la population du Moyen-Orient. De plus, les USA sont pour lui, depuis les années 1980, la base du gouvernement mondiale et de la globalisation financière. D’autre part, il a une vision profane des sociétés du Moyen-Orient, il prend en compte le religieux mais avec un regard laïc car il serait trop réducteur de tout analyser d’un point de vue purement religieux.

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