Les OGM, une décision irréversible semble-t-il.
Les biotechnologies
rouges comme la FIV, sont souvent dites comportementalistes. On distingue en
politique, les décisions restrictives et les décisions permissives.
Les décisions restrictives sont dites comportementalistes et
positivistes tandis que les décisions permissives, on peut les mesurer de
l’extérieur. Les biotechnologies vertes comme les OGM.
En France, on a une
position restrictive sur les OGM et permissive sur la FIV. Aux USA, c’est
l’inverse, mieux
encore, il n’y a pas de débats sur les OGM, c’est intégré tandis que la FIV est
toujours le sujet de décisions restrictives. Paradoxe européen où l’on est plus
soucieux des manipulations génétiques de ce qu’on mange que des manipulations
génétiques sur les embryons.
La prise
d’indécision de Mitterrand en formant le CCNE et en propulsant le sujet dans
l’espace public, a permis au Président de faire émerger un débat dans l’opinion
publique. Ce qui a ensuite permis aux leaders d’opinion d’exprimer leurs thèses
et de savoir les conséquences d’une décision du gouvernement vis-à-vis de
l’opinion publique.
On entre alors dans
un système à 4 acteurs en plaçant le débat dans l’espace public. Aux deux
extrêmes, on trouve les Permissifs et les Restrictifs. Entre ces deux positions, on a une zone d’incertitude qui pousse des
Restrictifs à nuancer leur jugement (type Renard concernant la FIV en
dénonçant un risque de tri des embryons) et
des Permissifs qui nuancent aussi leur jugement.
Sur le débat, les
politologues privilégient trois analyses : les intérêts des partis, puis
les positions des acteurs
(type bourdieusien : qui est dominé et qui est dominant) et les croyances des individus. Sur la
FIV, l’explication par les intérêts ne fonctionne pas. En effet, les parents
qui ont conçu les embryons et en ont laissé aux scientifiques, ces parents
n’ont jamais pris la parole dans le débat. Ainsi dans l’association Pauline et
Adrien, les parents viennent recevoir de l’aide pour la logistique pour avoir
des enfants par FIV, mais sur la question des embryons surnuméraires, il n’y a
pas de débats dans ce genre d’association. Le statut des parents est presque
naïf. En revanche, si on leur avait parlé du développement du clonage, le sujet
aurait peut être plus interpellé.
De
leur coté les religieux n’ont pas la même position entre la question de
l’avortement et celle de la FIV. En effet, l’avortement est un sujet politique
et de société qui est tabou tant une partie de la société reste encore opposée
à ce sujet. En revanche, pour la FIV, ce tabou n’existe pas. Les religieux sont
partagés sur la question au sein de leur champ (les autorités refusent, les
prêtres ne sont pas foncièrement contre) et de même chez les scientifiques. L’étude
des positions ne fonctionne donc pas bien non plus.
Si ni les intérêts,
ni les positions ne sont satisfaisante, alors l’étude des croyances peut
devenir pertinente. En effet, qu’ils soient dominants ou dominés, qu’ils aient
des intérêts ou non, les croyances sur le sujet sont partagées par les membres
de tous bords.
Georges
Burdeau, un sociologue, propose
l’explication de l’opinion publique comme « force diffuse ». Cette opinion publique n’a aucun
lien avec les sondages, c’est une opinion élaborée avec l’ensemble des citoyens
et qui se traduit par un engagement public du au fait que chaque citoyen se
sent concerné par la communauté. Du
coup, au lieu de tenir leurs intérêts ou leurs positions dans des champs, ces
citoyens ont plus une opinion altruiste et assez désintéressée. Cette opinion
publique diffuse peut altérer le champ de force. Selon Burdeau « l’opinion publique n’exprime pas un intérêt,
elle ne formule pas une revendication de telle ou telle catégorie sociale. ».
Il existe des explications que la sociologie n’explique pas.
Jürgen
Habermas explique que dans ce débat, des
courants politiques libéraux attachés à l’IVG, vont refuser que l’on utilise
des embryons surnuméraires et qu’on les détruise. D’où l’apparition de
nouvelles croyances inédites et inexplicables si l’on reste dans la logique des
intérêts et des positions.
Les Permissifs, tel Warwock, ont une vision
utilitariste des embryons qu’ils considèrent comme un « matériau de laboratoire ». Les
restrictifs, tel les autorités de l’Eglise, estiment que l’embryon est une
personne dès sa conception. Le premier
avis intermédiaire entre ces deux positions sera celui du CCNE en 1984, qui envisage l’embryon humain comme une
personne potentielle. Cette position est plus proche d’une forme de restrictivité.
En 1986,
les scientifiques Frydman et Le Déaut vont parler des droits du zygote, droits
du pré-embryon humain. Du coup, leur position est plutôt du côté de la
permissivité. Dans ce débat, chacun a nuancé son propos et le clivage
traditionnel a explosé pour donner des discussions plus affinées. C’est cela qui renvoie à la théorie de
Burdeau où la logique des individus n’est plus fondée sur des intérêts ou des
positions, mais sur une pure logique de débat. Avec cette nuance, on a tout
de même un risque symbolique de nouvelles dominations d’opinions.
Ce
jeu de débats dans l’espace public se retrouvera sur de nombreux autres sujets
allant du nucléaire au grenelle de l’environnement.
Cette question est
à rapprocher de la vision culturaliste, de Mary
Douglas, où comment les risques dépendent des facteurs culturels des
différents groupes. L’émergence des risques comme problème public s’explique
par la présence d’un facteur culturel.
Ainsi, le terrorisme c’est l’attaque de la valeur essentielle de la vie en
démocratie.
Mary
Douglas, il existe différents types de groupes avec différents types de
cultures (comme systèmes de représentation et de perception). Le facteur culturel n’existe qu’avec
différents types de groupes. Ces groupes diffèrent dans leur organisation
interne (plus ou moins hiérarchisé) et dans leur rapport avec l’extérieur (plus
ou moins ouverts). Ils sont au
nombre de quatre. D’abord le groupe des bureaucrates dans une organisation
bureaucratique (hiérarchie forte et peu d’ouverture), le groupe des individualistes dans un marché (hiérarchie faible
et grande ouverture), le groupe de fidèles dans une secte
(hiérarchie faible et peu d’ouverture) et
un dernier groupe assez flou (hiérarchie forte et grande ouverture). Dans
tous les cas on constate un ensemble de groupes où chacun possède son
portefeuille de risques, ce qui menace le groupe social mais en même temps est
une ressource car il permet la mobilisation du groupe contre une attaque
extérieure.
Mais dans le cas de
la FIV, ce découpage de groupes ne permet pas de rendre compte de la perception
du risque. On ne
comprend pas la prise de conscience du clergé, ni celle des scientifiques, … Burdeau met en évidence qu’on peut
ressentir des risques sans pour autant appartenir à un groupe. Lorsque l’on
passe de l’écologie ou du respect de l’environnement ou des OGM, ce système est
plus satisfaisant.
Douglas permet
d’expliquer les discours de la Confédération Paysanne ou de Greenpeace face à ce qui est vu comme une
attaque sur les territoires européens. En se concentrant sur la secte, Douglas
et Aaron Wildavsky se sont intéressés
au cas de la défense de l’environnement aux USA. Lors de cet exemple
historique, la secte perçoit un risque de contamination et d’impuretés avec le
marché et l’administration bureaucratique. Sur les OGM, Greenpeace utilise les
caractéristiques de la secte en considérant les groupes comme Monsanto, qui
produisent des OGM et le vendent, comme des diables. Hors dans le cadre du
Marché, Monsanto a toute sa légitimité.
Mais ce modèle
n’est pas parfait, il peut tendre au déterminisme. Pour Douglas, les individus ne pensent pas par eux-mêmes mais seraient
déterminés par leur groupe et agirait de manière identique à leur groupe. Or ce qui caractérise la perception du
risque dans une société complexe, c’est justement qu’un même individu peut
appartenir à plusieurs groupes. Du coup, sur la FIV, ceux qui ont pris une
position sur la question recoupent les caractéristiques de plusieurs groupes.
Pour les OGM, en 1974,
les scientifiques découvrent une bactérie qui est à l’origine d’une maladie,
d’une sorte de tumeur (agrobacterium
tumefaciens). Or cette bactérie, qui provoque des tumeurs chez la plante
donnait lieu à une transgénèse de la bactérie vers la plante : la bactérie
donne une partie de ses gènes à la plante, ce qui en l’occurrence lui donne un
cancer. Ce constat va servir à la fabrication d’OGM dont le principe est
identique : transmettre des gènes
intéressants à des plantes (résistance au froid, …). De proche en proche, les applications scientifiques aboutissent à des
questionnements. Si l’on mange des OGM ou des animaux qui en mangent, vont-ils
nous transmettre leur résistance aux antibiotiques ? En effet, les OGM
possèdent tous ce gène qui leur a été inséré et c’est par ce marqueur et divers
tests chimiques qu’on peut identifier les OGM.
Jusqu’en
1996, les OGM apparaissent comme le moyen d’augmenter la
rentabilité des sols, essentiellement pour l’utilisation de deux gènes
particuliers. Le gène de résistance à certains insectes (ce qui évite d’utiliser
certains insecticides non seulement très polluants mais dangereux pour la
santé), qui fait que le plante développe une toxine qui repousse lesdits
insectes. Le gène de résistance aux
herbicides a lui aussi été inséré dans certains plants. Ainsi Dominique Voynet, ministre de l’environnement
écologiste, qui y voyait le moyen de réduire des insecticides, a vanté leur
usage. Mais les agriculteurs face à la tolérance des herbicides ont décidé d’en
appliquer davantage puisque la plante était plus résistante. Chez Monsanto, on souhaitait aussi développer
des gènes de résistance à la salinité, au stress hydrique ou encore un gène qui
développerait des vitamines dans les végétaux (comme le cas du riz doré).
Deux positions
existent : ??? et celle où il existe un risque spécifique propre aux
OGM eux-mêmes. En 1996, plusieurs évènements
vont provoquer une césure dans cette logique : la vache folle et le
premier clonage reproductif humain. La même année, Libération profitant de la méfiance vis-à-vis des
scientifiques titre son journal « Alerte
au soja fou ».
C’est effectivement l’arrivée des premiers légumes OGM en Europe. Greenpeace
met aussitôt en garde contre SIBA, répétant qu’il ne faut pas disséminer ces
envahisseurs.
Au final, les
différents acteurs en présence vont produire leurs propres analyses qui
confrontées les unes entre les autres arrivent à des réponses contradictoires.
Le ministère de l’environnement tenu alors par Corinne
Lepage va se retrouver opposé à celui du Ministère de l’agriculture de Philippe Vasseur. Du coup, sur la dissémination des OGM, le bilan arrive au constat qu’on
n’a aucune preuve des méfaits des OGM, ni aucune autre de leurs bienfaits ou de
leur neutralité. Axel Canne expliquera
que par le processus de digestion, il n’y a pas de transmission de gène avec le
corps humain. D’autres scientifiques du coté de Corinne Lepage expliqueront que
cela est tout à fait possible. La
science n’est donc à nouveau d’aucun secours à ce risque.
Du fait de la crise sanitaire de 1996, ce seront les experts du ministère de
l’environnement qui prendront le dessus comme parole d’autorité sur ce débat.
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