mardi 2 avril 2013

Politique du risque 27 - 03 (cours 6)




 Les OGM, une décision irréversible semble-t-il.


Les biotechnologies rouges comme la FIV, sont souvent dites comportementalistes. On distingue en politique, les décisions restrictives et les décisions permissives.  Les décisions restrictives sont dites comportementalistes et positivistes tandis que les décisions permissives, on peut les mesurer de l’extérieur. Les biotechnologies vertes comme les OGM.
En France, on a une position restrictive sur les OGM et permissive sur la FIV. Aux USA, c’est l’inverse, mieux encore, il n’y a pas de débats sur les OGM, c’est intégré tandis que la FIV est toujours le sujet de décisions restrictives. Paradoxe européen où l’on est plus soucieux des manipulations génétiques de ce qu’on mange que des manipulations génétiques sur les embryons.

La prise d’indécision de Mitterrand en formant le CCNE et en propulsant le sujet dans l’espace public, a permis au Président de faire émerger un débat dans l’opinion publique. Ce qui a ensuite permis aux leaders d’opinion d’exprimer leurs thèses et de savoir les conséquences d’une décision du gouvernement vis-à-vis de l’opinion publique.
On entre alors dans un système à 4 acteurs en plaçant le débat dans l’espace public. Aux deux extrêmes, on trouve les Permissifs et les Restrictifs. Entre ces deux positions, on a une zone d’incertitude qui pousse des Restrictifs à nuancer leur jugement (type Renard concernant la FIV en dénonçant un risque de tri des embryons) et des Permissifs qui nuancent aussi leur jugement.
Sur le débat, les politologues privilégient trois analyses : les intérêts des partis, puis les positions des acteurs (type bourdieusien : qui est dominé et qui est dominant) et les croyances des individus. Sur la FIV, l’explication par les intérêts ne fonctionne pas. En effet, les parents qui ont conçu les embryons et en ont laissé aux scientifiques, ces parents n’ont jamais pris la parole dans le débat. Ainsi dans l’association Pauline et Adrien, les parents viennent recevoir de l’aide pour la logistique pour avoir des enfants par FIV, mais sur la question des embryons surnuméraires, il n’y a pas de débats dans ce genre d’association. Le statut des parents est presque naïf. En revanche, si on leur avait parlé du développement du clonage, le sujet aurait peut être plus interpellé.
De leur coté les religieux n’ont pas la même position entre la question de l’avortement et celle de la FIV. En effet, l’avortement est un sujet politique et de société qui est tabou tant une partie de la société reste encore opposée à ce sujet. En revanche, pour la FIV, ce tabou n’existe pas. Les religieux sont partagés sur la question au sein de leur champ (les autorités refusent, les prêtres ne sont pas foncièrement contre) et de même chez les scientifiques. L’étude des positions ne fonctionne donc pas bien non plus.
Si ni les intérêts, ni les positions ne sont satisfaisante, alors l’étude des croyances peut devenir pertinente. En effet, qu’ils soient dominants ou dominés, qu’ils aient des intérêts ou non, les croyances sur le sujet sont partagées par les membres de tous bords.

Georges Burdeau, un sociologue, propose l’explication de l’opinion publique comme « force diffuse ». Cette opinion publique n’a aucun lien avec les sondages, c’est une opinion élaborée avec l’ensemble des citoyens et qui se traduit par un engagement public du au fait que chaque citoyen se sent concerné par la communauté. Du coup, au lieu de tenir leurs intérêts ou leurs positions dans des champs, ces citoyens ont plus une opinion altruiste et assez désintéressée. Cette opinion publique diffuse peut altérer le champ de force. Selon Burdeau « l’opinion publique n’exprime pas un intérêt, elle ne formule pas une revendication de telle ou telle catégorie sociale. ». Il existe des explications que la sociologie n’explique pas.
Jürgen Habermas explique que dans ce débat, des courants politiques libéraux attachés à l’IVG, vont refuser que l’on utilise des embryons surnuméraires et qu’on les détruise. D’où l’apparition de nouvelles croyances inédites et inexplicables si l’on reste dans la logique des intérêts et des positions. Les Permissifs, tel Warwock, ont une vision utilitariste des embryons qu’ils considèrent comme un « matériau de laboratoire ». Les restrictifs, tel les autorités de l’Eglise, estiment que l’embryon est une personne dès sa conception. Le premier avis intermédiaire entre ces deux positions sera celui du CCNE en 1984, qui envisage l’embryon humain comme une personne potentielle. Cette position est plus proche d’une forme de restrictivité. En 1986, les scientifiques Frydman et Le Déaut vont parler des droits du zygote, droits du pré-embryon humain. Du coup, leur position est plutôt du côté de la permissivité. Dans ce débat, chacun a nuancé son propos et le clivage traditionnel a explosé pour donner des discussions plus affinées. C’est cela qui renvoie à la théorie de Burdeau où la logique des individus n’est plus fondée sur des intérêts ou des positions, mais sur une pure logique de débat. Avec cette nuance, on a tout de même un risque symbolique de nouvelles dominations d’opinions.
Ce jeu de débats dans l’espace public se retrouvera sur de nombreux autres sujets allant du nucléaire au grenelle de l’environnement.

Cette question est à rapprocher de la vision culturaliste, de Mary Douglas, où comment les risques dépendent des facteurs culturels des différents groupes. L’émergence des risques comme problème public s’explique par la présence d’un facteur culturel. Ainsi, le terrorisme c’est l’attaque de la valeur essentielle de la vie en démocratie.
Mary Douglas, il existe différents types de groupes avec différents types de cultures (comme systèmes de représentation et de perception). Le facteur culturel n’existe qu’avec différents types de groupes. Ces groupes diffèrent dans leur organisation interne (plus ou moins hiérarchisé) et dans leur rapport avec l’extérieur (plus ou moins ouverts). Ils sont au nombre de quatre. D’abord le groupe des bureaucrates dans une organisation bureaucratique (hiérarchie forte et peu d’ouverture), le groupe des individualistes dans un marché (hiérarchie faible et grande ouverture), le groupe de fidèles dans une secte (hiérarchie faible et peu d’ouverture) et un dernier groupe assez flou (hiérarchie forte et grande ouverture). Dans tous les cas on constate un ensemble de groupes où chacun possède son portefeuille de risques, ce qui menace le groupe social mais en même temps est une ressource car il permet la mobilisation du groupe contre une attaque extérieure.
Mais dans le cas de la FIV, ce découpage de groupes ne permet pas de rendre compte de la perception du risque. On ne comprend pas la prise de conscience du clergé, ni celle des scientifiques, … Burdeau met en évidence qu’on peut ressentir des risques sans pour autant appartenir à un groupe. Lorsque l’on passe de l’écologie ou du respect de l’environnement ou des OGM, ce système est plus satisfaisant.
Douglas permet d’expliquer les discours de la Confédération Paysanne ou de Greenpeace face à ce qui est vu comme une attaque sur les territoires européens. En se concentrant sur la secte, Douglas et Aaron Wildavsky se sont intéressés au cas de la défense de l’environnement aux USA. Lors de cet exemple historique, la secte perçoit un risque de contamination et d’impuretés avec le marché et l’administration bureaucratique. Sur les OGM, Greenpeace utilise les caractéristiques de la secte en considérant les groupes comme Monsanto, qui produisent des OGM et le vendent, comme des diables. Hors dans le cadre du Marché, Monsanto a toute sa légitimité.
Mais ce modèle n’est pas parfait, il peut tendre au déterminisme. Pour Douglas, les individus ne pensent pas par eux-mêmes mais seraient déterminés par leur groupe et agirait de manière identique à leur groupe. Or ce qui caractérise la perception du risque dans une société complexe, c’est justement qu’un même individu peut appartenir à plusieurs groupes. Du coup, sur la FIV, ceux qui ont pris une position sur la question recoupent les caractéristiques de plusieurs groupes.

Pour les OGM, en 1974, les scientifiques découvrent une bactérie qui est à l’origine d’une maladie, d’une sorte de tumeur (agrobacterium tumefaciens). Or cette bactérie, qui provoque des tumeurs chez la plante donnait lieu à une transgénèse de la bactérie vers la plante : la bactérie donne une partie de ses gènes à la plante, ce qui en l’occurrence lui donne un cancer. Ce constat va servir à la fabrication d’OGM dont le principe est identique : transmettre des gènes intéressants à des plantes (résistance au froid, …). De proche en proche, les applications scientifiques aboutissent à des questionnements. Si l’on mange des OGM ou des animaux qui en mangent, vont-ils nous transmettre leur résistance aux antibiotiques ? En effet, les OGM possèdent tous ce gène qui leur a été inséré et c’est par ce marqueur et divers tests chimiques qu’on peut identifier les OGM.

Jusqu’en 1996, les OGM apparaissent comme le moyen d’augmenter la rentabilité des sols, essentiellement pour l’utilisation de deux gènes particuliers. Le gène de résistance à certains insectes (ce qui évite d’utiliser certains insecticides non seulement très polluants mais dangereux pour la santé), qui fait que le plante développe une toxine qui repousse lesdits insectes. Le gène de résistance aux herbicides a lui aussi été inséré dans certains plants. Ainsi Dominique Voynet, ministre de l’environnement écologiste, qui y voyait le moyen de réduire des insecticides, a vanté leur usage. Mais les agriculteurs face à la tolérance des herbicides ont décidé d’en appliquer davantage puisque la plante était plus résistante. Chez Monsanto, on souhaitait aussi développer des gènes de résistance à la salinité, au stress hydrique ou encore un gène qui développerait des vitamines dans les végétaux (comme le cas du riz doré).
Deux positions existent : ??? et celle où il existe un risque spécifique propre aux OGM eux-mêmes. En 1996, plusieurs évènements vont provoquer une césure dans cette logique : la vache folle et le premier clonage reproductif humain. La même année, Libération profitant de la méfiance vis-à-vis des scientifiques titre son journal « Alerte au soja fou ». C’est effectivement l’arrivée des premiers légumes OGM en Europe. Greenpeace met aussitôt en garde contre SIBA, répétant qu’il ne faut pas disséminer ces envahisseurs.
Au final, les différents acteurs en présence vont produire leurs propres analyses qui confrontées les unes entre les autres arrivent à des réponses contradictoires. Le ministère de l’environnement tenu alors par Corinne Lepage va se retrouver opposé à celui du Ministère de l’agriculture de Philippe Vasseur. Du coup, sur la dissémination des OGM, le bilan arrive au constat qu’on n’a aucune preuve des méfaits des OGM, ni aucune autre de leurs bienfaits ou de leur neutralité. Axel Canne expliquera que par le processus de digestion, il n’y a pas de transmission de gène avec le corps humain. D’autres scientifiques du coté de Corinne Lepage expliqueront que cela est tout à fait possible. La science n’est donc à nouveau d’aucun secours à ce risque.
Du fait de la crise sanitaire de 1996, ce seront les experts du ministère de l’environnement qui prendront le dessus comme parole d’autorité sur ce débat.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire