lundi 25 mars 2013

Politique du risque 22 - 03 (cours 5)


 Et si la pratique du bébé congelé, n'était qu'un dérivé de la pratique de l'embryon congelé ?



Dorénavant, toutes les lois qui seront produites viendront en fait, d’un compromis entre les avis consultatifs et variés du CCNE. Une jurisprudence est créée avec le CCNE puisque le pouvoir juridique s’y réfère pour prendre la décision juridique. On voit le rôle décisif de ce qu’on considère comme un organe indépendant du pouvoir et purement consultatif. Pour Jean Bernard, premier président du CCNE, cet organe « n’a aucun pouvoir, son seul pouvoir c’est de ??? ».
C’est pour la première fois l’apparition de l’image du sage en politique. Il ne s’agit pas seulement de scientifiques mais aussi de personnes possédant un avis moral. Le CCNE est donc avant tout, lors des questions sensibles, dans l’utilisation de la délibération. On a une transformation du décideur, qui prend une image plus modeste et moins intransigeante. Les comités d’éthique ont recours à des experts mais ne sont plus interpellés en tant qu’experts mais en tant que sages. Leur exigence morale, leur ouverture d’esprit sont autant de caractéristiques de leur rôle sur les questions politiques. Cette décision peut être comprise à travers le pouvoir d’indécision.

Le pouvoir d’indécision est un terme développé par Yannick Barthes. Barthes souligne que ce pouvoir d’indécision est une nouvelle forme de décision et de pouvoir dans les démocraties occidentales. Ce n’est pas une incertitude ou l’incapacité du pouvoir à choisir une ligne politique fixe, il s’agit d’autre chose.
Selon Yannick Barthes, il existe des décisions irréversibles et d’autres réversibles. Les premières sont des décisions que le pouvoir fixe comme étant incontestables et qu’il n’y  a plus qu’à appliquer. Ainsi dans le cas de l’enfouissage des déchets nucléaires, si le gouvernement l’avait pris, il n’y aurait pas eu moyen de revenir en arrière. Idem en 1992 lorsque l’UE autorise l’introduction d’OGM dans les champs, ces OGM vont échanger leurs gênes avec les plants alentours ce qui rend donc cette décision irréversible. La réversibilité en revanche, c’est le choix de prendre des décisions qui peuvent à tout moment être pondérées voire amendées. Beaucoup plus proche de la démocratie, ces décisions réversibles permettent aux citoyens d’intervenir à tout moment pour s’exprimer et adapter les décisions. Mitterrand s’engage donc dans une voie où l’on ne ferme aucune porte pour mieux faire un choix ensuite. Loin d’être passif, l’État dans le cadre des décisions biotechnologiques sait prendre des décisions réversibles et non tranchées ni définitives.

Un autre sujet biotechnologique lié à la FIV, c’est la question des embryons surnuméraires. Pour réussir une FIV, on développe plusieurs embryons qu’on injecte dans l’utérus de la femme. Sauf que depuis le développement de la FIV, on a toujours un excédent d’embryons produits, impossibles à réinjecter dans ledit utérus. Du coup, plusieurs solutions sont étudiées : la congélation de ces embryons pour qu’ils servent aux parents plus tard mais ce n’est pas forcément envisagé par les parents. Du coup, les scientifiques sont tentés d’utiliser ces embryons humains dans le cas d’études scientifiques, dans la recherche. D’autant plus, que ces cellules embryonnaires ont la capacité de pluripotence, de reconstitution d’autres cellules du corps humain.
Sur cette question, la question est donc de déterminer le statut de ces embryons, pour savoir quoi faire de ces embryons qui ne naîtront jamais. L’Eglise a déjà tranché depuis longtemps, ces embryons étant des personnes, il est impossible de les manipuler. Le CCNE de son coté a publié un avis en 1984 dans lequel il a donné une qualification réversible de l’embryon, ce qui est une forme d’indécision. Pour le CCNE, l’embryon est une personne potentielle. Résultat d’un compromis, cette décision souligne que l’embryon est humain et ne peut être dépouillé de son humanité, mais d’un autre coté, le CNNE reconnaît aussi que ce n’est pas pleinement une personne. Cette position hybride sera celle du CCNE jusqu’aux lois bioéthiques de 1994. Toujours est-il que ce qualificatif interdit la commercialisation des embryons humains, en revanche, il est possible dans certaines conditions de réaliser des expériences sur l’embryon mais à des fins non-commerciales. Cet avis sera repris dans les lois bioéthiques de 1994 révélant l’influence du CCNE sur l’organe législatif.

Au même moment, en 1984, au Royaume-Uni, est publié le rapport Warnock qui révèle une conception bien plus utilitariste de ces embryons. Le comité éthique anglais va publier un avis d’experts, contrairement à la France, il n’y a pas de discussions entre plusieurs partis. Cette approche de l’éthique va révéler un nouveau cadrage. Il n’y a pas de personne potentielle, mais on rencontre le terme de « pré-embryon » ou de « zygote ». L’embryon est une catégorie trop générale, on distingue donc l’embryon et le pré-embryon. L’embryon c’est entre le moment de la conception et la naissance. Le pré-embryon ce sera entre la conception et le moment de développement du système nerveux (soit le 14° jour) avec l’idée d’une individualisation de cet embryon. Il n’y a humanité que s’il y a sensibilité. En effet, l’humanité se caractérise par la souffrance, il faut donc que l’embryon développe une sensibilité pour être assimilé à une personne. Avant le 14° jour, les Anglais considèrent que ce pré-embryon n’est qu’une cellule comme une autre. En conséquence, on peut utiliser ces embryons. En Angleterre, il est donc inscrit dans la loi qu’on peut donc expérimenter sur les embryons avant le 14° jour.

En 1985, un colloque est organisé par le gouvernement et le Président François Mitterrand et le garde des sceaux Robert Badinter. Ce colloque est présenté comme un colloque de véritable discussion et de collaboration, il ne veut pas que le politique encadre les discours. Du coup, on trouve là un espace de débats où l’expertise elle-même est contestée, ce qui fait muter le débat. Dans le cadre où on a des nouveautés sociales qui émergent les questions biotechnologiques, les politiques n’ont pas de positions tranchées gauche / droite. Cette incertitude des politiques doit disparaître et ils doivent choisir une orientation. Pour cela, il faut que l’opinion publique se saisisse de la question. Mitterrand sur ces questions souhaite que le peuple et la nation française donnent leurs avis pour se substituer aux intérêts particuliers. Selon lui, ce n’est pas parce que le débat vient du domaine scientifique que l’opinion publique n’a pas d’avis sur la question. Mitterrand estime que le peuple peut très bien saisir les enjeux de ce débat. Il compare l’État français à l’Ancien régime en 1789, où les rois sont devenus des experts et des technocrates. Pour autant, c’est à l’opinion publique de s’exprimer par la souveraineté de la nation. Il prend donc une stature fondamentalement libérale avec l’aide de Robert Badinter, lui-même un esprit libéral.
Selon Badinter, la question des embryons surnuméraires est une question qui ne peut être tranchée que selon la conscience de chacun, selon son système de valeurs. A chacun d’utiliser ou de préserver l’embryon selon sa conscience. Pour Badinter, le modèle privilégié est libéral mais respectueux des avis de chacun et respectueux de la conscience de chacun. Pour lui aussi, l’opinion publique se saisit déjà de la question puisque l’embryon se caractérise alors par son caractère mystérieux. Tous les courants politiques ont selon lui, une opinion modérée, il n’y a pas de camps tranchés sur ce débat en politique. Badinter estime qu’on ne peut trancher la question du fait de trop grandes indéterminations sur le sujet. Le risque bioéthique est alors typiquement un risque politique, sur lequel on ne peut s’engager, mais aussi un risque symbolique puisque toute décision serait aller contre les intérêts de certains groupes. De ce risque symbolique, Badinter pense que la question doit restée ouverte et que chacun s’autodétermine.

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