Dorénavant,
toutes les lois qui seront produites viendront en fait, d’un compromis entre
les avis consultatifs et variés du CCNE. Une jurisprudence est créée avec le
CCNE puisque le pouvoir juridique s’y réfère pour prendre la décision
juridique. On voit le rôle décisif de ce
qu’on considère comme un organe indépendant du pouvoir et purement consultatif.
Pour Jean Bernard, premier président du CCNE,
cet organe « n’a aucun pouvoir, son
seul pouvoir c’est de ??? ».
C’est pour la
première fois l’apparition de l’image du sage en politique. Il ne s’agit pas
seulement de scientifiques mais aussi de personnes possédant un avis moral. Le
CCNE est donc avant tout, lors des questions sensibles, dans l’utilisation de
la délibération. On
a une transformation du décideur, qui prend une image plus modeste et moins
intransigeante. Les comités d’éthique ont recours à des experts mais ne sont
plus interpellés en tant qu’experts mais en tant que sages. Leur exigence
morale, leur ouverture d’esprit sont autant de caractéristiques de leur rôle
sur les questions politiques. Cette décision peut être comprise à travers le
pouvoir d’indécision.
Le pouvoir
d’indécision est un terme développé par Yannick
Barthes. Barthes souligne que ce pouvoir d’indécision est une nouvelle
forme de décision et de pouvoir dans les démocraties occidentales. Ce n’est pas
une incertitude ou l’incapacité du pouvoir à choisir une ligne politique fixe,
il s’agit d’autre chose.
Selon Yannick
Barthes, il existe des décisions irréversibles et d’autres réversibles. Les premières sont des décisions
que le pouvoir fixe comme étant incontestables et qu’il n’y a plus qu’à appliquer. Ainsi dans le cas de
l’enfouissage des déchets nucléaires, si le gouvernement l’avait pris, il n’y
aurait pas eu moyen de revenir en arrière. Idem en 1992
lorsque l’UE autorise l’introduction d’OGM dans les champs, ces OGM vont
échanger leurs gênes avec les plants alentours ce qui rend donc cette décision
irréversible. La réversibilité en revanche, c’est le choix de prendre des
décisions qui peuvent à tout moment être pondérées voire amendées. Beaucoup plus proche de la démocratie, ces
décisions réversibles permettent aux citoyens d’intervenir à tout moment pour
s’exprimer et adapter les décisions. Mitterrand s’engage donc dans une voie où
l’on ne ferme aucune porte pour mieux faire un choix ensuite. Loin d’être
passif, l’État dans le cadre des décisions biotechnologiques sait prendre des
décisions réversibles et non tranchées ni définitives.
Un autre sujet
biotechnologique lié à la FIV, c’est la question des embryons surnuméraires. Pour réussir une FIV, on
développe plusieurs embryons qu’on injecte dans l’utérus de la femme. Sauf que
depuis le développement de la FIV, on a toujours un excédent d’embryons
produits, impossibles à réinjecter dans ledit utérus. Du coup, plusieurs
solutions sont étudiées : la congélation de ces embryons pour qu’ils
servent aux parents plus tard mais ce n’est pas forcément envisagé par les
parents. Du coup, les scientifiques sont tentés d’utiliser ces embryons humains
dans le cas d’études scientifiques, dans la recherche. D’autant plus, que ces
cellules embryonnaires ont la capacité de pluripotence, de reconstitution
d’autres cellules du corps humain.
Sur cette question,
la question est donc de déterminer le statut de ces embryons, pour savoir quoi
faire de ces embryons qui ne naîtront jamais. L’Eglise a déjà tranché depuis
longtemps, ces embryons étant des personnes, il est impossible de les
manipuler. Le CCNE de son coté a publié
un avis en 1984 dans lequel il a donné une
qualification réversible de l’embryon, ce qui est une forme d’indécision. Pour
le CCNE, l’embryon est une personne potentielle. Résultat d’un compromis,
cette décision souligne que l’embryon est humain et ne peut être dépouillé de
son humanité, mais d’un autre coté, le CNNE reconnaît aussi que ce n’est pas
pleinement une personne. Cette position
hybride sera celle du CCNE jusqu’aux lois bioéthiques de 1994. Toujours est-il que ce qualificatif interdit
la commercialisation des embryons humains, en revanche, il est possible dans certaines
conditions de réaliser des expériences sur l’embryon mais à des fins
non-commerciales. Cet avis sera repris dans les lois bioéthiques de 1994 révélant l’influence du CCNE sur l’organe
législatif.
Au même moment, en 1984, au Royaume-Uni, est publié le rapport
Warnock qui révèle une conception bien plus utilitariste de ces embryons. Le
comité éthique anglais va publier un avis d’experts, contrairement à la France, il n’y a pas de discussions entre plusieurs
partis. Cette approche de l’éthique va révéler un nouveau cadrage. Il n’y a pas
de personne potentielle, mais on rencontre le terme de
« pré-embryon » ou de « zygote ». L’embryon est une
catégorie trop générale, on distingue donc l’embryon et le pré-embryon.
L’embryon c’est entre le moment de la conception et la naissance. Le
pré-embryon ce sera entre la conception et le moment de développement du
système nerveux (soit le 14° jour) avec l’idée d’une individualisation de cet
embryon. Il n’y a humanité que s’il y a sensibilité. En effet, l’humanité se
caractérise par la souffrance, il faut donc que l’embryon développe une
sensibilité pour être assimilé à une personne. Avant le 14° jour, les Anglais considèrent que ce pré-embryon n’est
qu’une cellule comme une autre. En conséquence, on peut utiliser ces embryons.
En Angleterre, il est donc inscrit dans la loi qu’on peut donc expérimenter sur
les embryons avant le 14° jour.
En 1985, un colloque est organisé par le gouvernement
et le Président François Mitterrand et le
garde des sceaux Robert Badinter. Ce colloque
est présenté comme un colloque de véritable discussion et de collaboration, il
ne veut pas que le politique encadre les discours. Du coup, on trouve là un espace
de débats où l’expertise elle-même est contestée, ce qui fait muter le débat. Dans le cadre où on a des nouveautés
sociales qui émergent les questions biotechnologiques, les politiques n’ont pas
de positions tranchées gauche / droite. Cette incertitude des politiques doit
disparaître et ils doivent choisir une orientation. Pour cela, il faut que
l’opinion publique se saisisse de la question. Mitterrand sur ces questions
souhaite que le peuple et la nation française donnent leurs avis pour se
substituer aux intérêts particuliers. Selon lui, ce n’est pas parce que le
débat vient du domaine scientifique que l’opinion publique n’a pas d’avis sur
la question. Mitterrand estime que le peuple peut très bien saisir les enjeux
de ce débat. Il compare l’État français à l’Ancien régime en 1789, où les rois sont devenus des experts et des
technocrates. Pour autant, c’est à l’opinion publique de s’exprimer par la
souveraineté de la nation. Il prend donc une stature fondamentalement libérale
avec l’aide de Robert Badinter, lui-même un esprit libéral.
Selon Badinter, la
question des embryons surnuméraires est une question qui ne peut être tranchée
que selon la conscience de chacun, selon son système de valeurs. A chacun
d’utiliser ou de préserver l’embryon selon sa conscience. Pour Badinter, le modèle
privilégié est libéral mais respectueux des avis de chacun et respectueux de la
conscience de chacun. Pour lui aussi, l’opinion publique se saisit déjà de la
question puisque l’embryon se caractérise alors par son caractère mystérieux.
Tous les courants politiques ont selon lui, une opinion modérée, il n’y a pas
de camps tranchés sur ce débat en politique. Badinter estime qu’on ne peut trancher la question du fait de trop
grandes indéterminations sur le sujet. Le risque bioéthique est alors
typiquement un risque politique, sur lequel on ne peut s’engager, mais aussi un
risque symbolique puisque toute décision serait aller contre les intérêts de
certains groupes. De ce risque
symbolique, Badinter pense que la question doit restée ouverte et que chacun
s’autodétermine.
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