jeudi 21 mars 2013

Politique du risque 15 - 03 (cours 4)

 Amandine



Dans Le siècle du gène, Evelyne Fox Meller démontre que la découverte du gène a produit autant de connaissance que d’ignorance et de croyance. Elle l’illustre avec le cas du monisme génétique, la croyance que toute la génétique explique le phénotype. Une telle analyse est naïve selon elle, puisque la structure de l’ADN est plus complexe que cela avec les « ADN détritus ». Ces ADN codent des caractères du corps qui ne sont pas véritablement utiles. Ils viennent surtout à l’appui en cas de problème.
Dans le Human Genome Project, on a tenté de déchiffrer l’ensemble des gènes observables et leur articulation, mais on n’est pas parvenu à les décrypter. Aujourd’hui, on sait juste faire des tests génétiques, encore assez limités, dont l’utilisation est surtout commerciale.
Plutôt que de parler de monisme génétique, elle préfère comparer les codifications génétiques à des hiéroglyphes encore mystérieux. Selon Fox Meller, nous serions dans une situation de total ignorance, nous serions encore illettrés face au code génétique.
Les théories de Fox Meller ont abouti à la création d’une nouvelle idéologie, centrées autour de l’atome, mot facilement utilisable et qui permettrait d’expliquer de manière convaincante l’ensemble du vivant. Le gène dans les discours assurerait la modernité de ce discours mais aussi se présente comme un argument d’autorité.

L’utilisation de ces biotechnologies va ouvrir un tout premier débat dans l’espace public, celui de son usage sur l’embryon avec le cas connu de la Fécondation In Vitro (FIV). On parle de biotechnologies rouges pour qualifier les biotechnologies en rapport avec la santé, de biotechnologies vertes lorsqu’elles ont une utilité dans l’agriculture. En 1978, les couples stériles et hypofertiles souhaitent avoir accès à un enfant. Au départ, la technique est celle de l’insémination artificielle, on insère les spermatozoïdes directement sur les ovaires, que ce soit ceux du mari ou d’un autre homme. Le problème posé est alors de savoir si l’on doit ou non donner le nom du père biologique des enfants. A coté de ce débat, une nouvelle technique plus radicale consiste à faire rencontrer les deux gamètes dans une éprouvette, on laisse agir, puis on réintroduit la cellule embryonnaire dans le corps de la femme. En 1978, c’est la naissance de Louise Brown aux USA puis d’Amandine en 1982 en France. Le laboratoire fonctionne de manière totalement hermétique puisque des années durant, le laboratoire a essayé la FIV en tuant plusieurs embryons et sans contrôle, c’est là le cœur du problème.
La fivette va à l’encontre du congrès d’Asilomar. Sur ce sujet, les scientifiques ne seront plus les seuls à intervenir. De 1978 à 1994, les citoyens s’intéressent au sujet et se scientificisent, tandis que les scientifiques adoptent un point de vue plus citoyen sur le sujet. On entre typiquement dans l’un des premiers forums hybrides.
Lorsque l’opinion publique reçoit les premières informations sur la FIV par les médias, c’est avant tout dans un contexte homogène, un point de vue scientiste. En effet, on nous présente Louise Brown comme un processus scientifique d’aboutissement et qui est une révolution. Mais les recherches des scientifiques sur la FIV n’ont jamais été entravées par l’espace public. Ce sont des limites vaguement économiques qui les ont parfois ralentis. En revanche, l’ensemble des expériences portées sur les embryons avec le gâchis d’embryon qui s’en est suivi est resté très confidentiel. On a des conférences qui mêlent religieux et scientifiques en s’imaginant que par la culture de tissus humains, par la culture d’embryon, on pourrait sauver un grand nombre de vies. On a donc un consensus mou sur l’idée que les scientifiques font le bien et qu’il ne faut se mêler de leurs affaires. Ca, c’est en France. Aux USA, le débat a explosé dans l’espace public et s’avère bien plus houleux. Robert Edward en 1978, déclare vouloir aider les femmes stériles et ne comprend pas qu’on remette en cause ses recherches en le jugeant en particulier sur le gâchis d’embryons qu’il a fait avant de parvenir à la naissance de Louis Brown. Mais des théologiens le soutiendront malgré tout.

Ce contexte français est caractérisé par Eve Seguin, comme une « invincibilité discursive » de la science. En effet, les milieux scientifiques semblent invincibles puisque dès que les scientifiques assurent que leurs études sont bonnes, tout le monde se soumet à cet avis. Cette invincibilité discursive va se déliter progressivement avec l’arrivée des sujets scientifiques dans l’espace public grâce à des scientifiques plus nuancés sur ce genre de questions. Ainsi en 1973, les groupes américains anti-avortement avaient eu gain de cause auprès du Congrès en pouvant bloquer les études scientifiques sur les embryons morts des suites d’un avortement. Pour les religieux, travailler sur des embryons morts est un risque de glissement. Dans l’idée, ces embryons morts sont récupérés après des avortements, ce qui pousserait certains médecins à être plus souples dans leur décision de faire avorter certaines femmes.
En France, cela débouchera sur le débat de la loi Veil, loi qui légalise l’avortement, où la ministre de la santé Simone Veil, dans les débats parlementaires, n’a aucune conscience de l’impact de la légalisation des avortements sur l’usage des embryons dans le milieu scientifique. Dans son esprit, il n’y a pas de lien fondamental entre l’avortement et le débat sur la recherche sur les embryons. La question des embryons s’avérait alors masquée dans les débats, en dépit du lien entre les deux. Seuls les acteurs religieux et conservateurs faisaient ce lien.

En 1982, la science fait donc problème et commence à prendre place dans le forum hybride. Quelques temps avant la naissance d’Amandine, le professeur Jean-Paul Renard qui travaille à l’INRA, sonne en premier l’alarme dans un entretien intitulé « Manipuler la vie ». Selon lui, il y a dans l’INRA quatre embryons humains congelés prélevés lors de tentatives de FIV. Ce constat est déplacé du monde scientifique dans l’espace public par le média du journal. Posé dans le domaine public, cette possibilité de prélever des embryons humains et de les séparer du corps de la mère, impose au scientifique de cadrer le sujet et de le définir comme étant un problème. Selon lui, la question de ces embryons doit faire l’objet d’un débat national. Renard, en agissant ainsi, transforme la vision du scientifique puisqu’il prend position dans un débat scientifique tout en faisant partager ce débat aux citoyens. Dans son argumentation, Renard souligne que c’est avant tout un problème technique. Dorénavant, la congélation d’embryon est si simple que cela se fait y compris pour des scientifiques débutants. Une telle attitude tend selon lui à entraîner des abus. Il redoute des scientifiques qui agiraient en-dehors des cadres légaux de la science. Il tire donc la sonnette d’alarme puisqu’en temps que chercheur de l’INRA, il prend l’initiative de s’engager du naming au blaming (vocabulaire renvoyant à l’émergence d’une politique publique).
Le problème se pose pour les scientifiques est de savoir quels embryons peuvent être implantés dans l’utérus de la femme. En effet, la FIV tend à réduire les capacités de reproduction de la femme. Renard redoute au final, que le tri d’embryon que l’INRA fait sur des bovins, finisse par arriver dans l’univers des hommes. C’est les diagnostics préimplantatoires, le tri d’embryons produits par FIV avant leur implantation dans l’utérus de la femme.

En février 1982, Amandine naît à l’Hôpital Beckler de Clamart. On assiste à une ultra-médiatisation de l’évènement avec la prise du sujet par une pluralité d’acteurs. Les politiques d’abord. Jean-Pierre Chevènement, ministre de la recherche, se déclare « enchanté de la nouvelle » allant jusqu’à affirmer que tous les enfants désirés par des couples, pourront enfin naître. La vision est encore purement scientiste, on reste dans ce cadre d’invincibilité discursive, on ne voit pas le problème. Celui-ci arrivera avec l’intervention de Jacques Testart, scientifique qui a directement aidé à la naissance d’Amandine, en déclarant que « Le choix de quelques uns ne peut servir ??? ». Il propose qu’un processus parlementaire se fasse suite à cette découverte.
Cette fois-ci, on peut réellement parler de tireur d’alarme. Testart est impliqué dans la naissance d’Amandine, pas juste un membre qui travaille sur ce sujet mais qui ne l’a pas concrétisé. Il bénéficie donc d’une crédibilité immense fondée sur cette notion de sacrifice. Frydman en revanche, n’a jamais critiqué de quelques manières la naissance d’Amandine. Testart soulignera que cette naissance suppose le sacrifice d’embryons humains, et donc une relation clientéliste aux embryons. Quatre ans plus tard, en 1986, il refusera d’aller plus loin dans ce domaine en déclarant dans une tribune les tendances eugénistes qui découlent de la FIV. Il écrira que dorénavant on peut sélectionner son enfant selon les critères qui nous plaisent. Les répliques fuseront que nous ne serons jamais des animaux puisqu’il faut le consentement des parents pour faire des tests préimplantatoire ou prénataux. Testart réplique qu’une fois ce processus enclenché, il va se généraliser et les effets pervers qui en découleront seront peu maîtrisés.



La réaction des religieux, sur ce sujet, est censée, dans nos esprits, être celui d’une opposition à ce genre de pratiques. Or il n’en est rien. Au contraire, on a même une tendance religieuse de l’Eglise catholique qui valorise la FIV. L’Eglise a pour problème principal que la science puisse permettre d’aller contre les lois de la nature ainsi que celles du mariage et de la moralité familiale. Dans ce contexte, l’avortement et la FIV sont incompatibles avec sa théologie. La FIV est donc condamnée quand il s’agit d’avoir des enfants hors-mariage. En revanche, si son usage se fait pour donner la vie et constituer des familles, l’Eglise n’est pas contre. L’Eglise est donc dans une situation de flou. Jerôme Lejeune, engagé dans la lutte contre l’avortement, n’a pas d’opposition de principe à la FIV puisque selon lui, on peut constituer des familles. Ce n’est qu’en 1987 que le Vatican tranchera la question. Ainsi, le cardinal Ratzinger sera celui qui prendra la décision conservatrice : l’embryon est considéré par l’Eglise, via le cardinal Ratzinger, comme une personne humaine dès l’instant de sa conception. Comme tout autre sujet, la personne existe dès l’instant de la fusion des gamètes. En conséquence, le respect inconditionnel de la personne doit être respecté. Ainsi, si la FIV aboutit à la destruction d’embryon, il y a mort de personne et donc la FIV est condamnée. L’embryon est une personne, et il ne doit pas y avoir d’atteinte à l’intégrité de son corps. Théologiquement, c’est pertinent, dans la pratique, c’est impossible. Un fort lobbying sera fait par certains membres de l’Eglise mais ils seront très loin d’être l’avis majoritaire des autres membres de l’Eglise. Pour la plupart d’entre eux, le FIV permet la création de familles et donc du coup, tolèrent le renoncement à la vie de certains embryons pourvu que cela permette la vie d’autres enfants. Cette attitude officielle intransigeante de l’Eglise aboutira à un réel blocage du débat par la suite, à l’image de Christine Boutin, qui préconise l’arrêt des discussions puisque l’embryon est une personne : cqfd, plus la peine de débattre.
Or cette position est d’autant plus intenable que la destruction d’embryons humains a déjà eu lieu avant la posture de l’Eglise. On a donc techniquement eu une forme de génocide dans la découverte. Enfin, l’embryon au tout départ, c’est une cellule embryonnaire qui se multiplie. Pour les chercheurs anglo-saxons, ce n’est qu’au quatorzième jour que se développe un système nerveux et qu’on peut donc associer cela à une forme de personne.
Avec la position de François Mitterrand, qui crée le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), on a une institution qui doit accueillir le débat en regroupant scientifiques et profanes en son sein. Pour Mitterrand, cela consiste à souligner que les progrès de la science se sont accélérés et face à cela, les scientifiques et la société civile doivent prendre le temps d’en discuter. « Plus vite va le monde, plus grande est la tentation de l’inconnu, plus nous devons prendre notre temps. ». Une telle décision n’est pas une prise de décision pour ou contre la science, au contraire, il instaure une politique de réflexion et d’échange qui va s’avérer la solution la plus adaptée à ces politiques du risque. A ce moment il n’y a pas encore eu de crise majeure (Tchernobyl, sang contaminé, vache folle, OGM, …). Le contexte est apaisé et cette prise de position est ???. Mitterrand est donc critiqué par sa non-action sur un sujet brulant, mais on peut aussi y voir une institutionnalisation précoce des forums hybrides. De plus, cette décision est le fruit direct de la question de la FIV. Le CCNE sera, lors de ses 10 premiers avis, centré autour de la question des embryons.

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